Dans une interview accordée lundi à RFI, le député français et président de la commission défense et sécurité de l’Assemblée française Jean-Jacques Bridey (LREM) a déclaré lundi que le « pouvoir actuel » au Mali « n’est pas à la hauteur des enjeux ». Son homologue malien a décidé hier de lui répondre dans une tribune. Nous vous proposons en intégralité la réplique de Karim Kéita.

 

Faire preuve d’humilité et de professionnalisme, c’est ce que les Maliens attendent de la France en ces temps de crise. Et c’est ce que moi, Karim Kéita, je vous demande, honorable Jean-Jacques Bridey. Nombre de Maliens ont été scandalisés par les propos que vous avez tenus lundi dernier sur une radio internationale française. Vos propos manquaient de précision et infantilisaient les Maliens, leur gouvernement et leurs dirigeants.

Certains de vos concitoyens se sont prêtés à cet exercice indigne ces derniers mois. J’ai, comme beaucoup de mes compatriotes, le devoir et la responsabilité de vous expliquer, cher homologue, le degré de complexité de la situation sécuritaire et politique qui prévaut au Mali, et qui va bien au-delà de l’analyse simpliste que vous en faites.

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Rétablir les faits

Tout d’abord, parlons de l’élection présidentielle du 29 juillet 2018. Vous dites dans vos déclarations radiophoniques que vous ne savez pas si elles pourront se tenir. Avez-vous oublié la visite du Premier ministre malien Soumeylou Boubèye Maïga à Paris la semaine dernière ? Faut-il vous rappeler que, parmi ses multiples échanges avec les plus hautes autorités françaises, M. Maïga s’est entretenu avec le Premier ministre français Edouard Philippe pour lui faire part de l’état de préparation des élections ? Ce dernier s’est félicité de cet entretien et a encouragé les autorités maliennes à poursuivre leurs efforts pour organiser les élections présidentielles à la date annoncée.

Le Mali n’a aucune raison de ne pas tenir ces élections, car la stabilité de notre pays est sans doute plus importante aux yeux des Maliens qu’elle ne le sera jamais pour vous. D’où vient donc votre pessimisme, cher homologue ? Avez-vous décidé, tout seul dans votre coin, que votre parole était au-dessus de celle du Premier ministre malien et de celle de son homologue français ?

Aussi faudrait-il vous rappeler qu’en 2013, lorsque le Mali organisait des élections présidentielles réussies, avec pour victorieux l’ensemble de la classe politique malienne qui s’était mobilisée pour la bonne tenue du processus électoral, le Mali se trouvait déjà dans une situation délicate.

Après un coup d’Etat militaire, une rébellion séparatiste, une invasion extrémiste et la présence de groupes armés sur notre territoire, le Mali, un pays dont le seul désert est plus vaste que la France, a organisé des élections présidentielles avec brio. Nous n’avons donc aucune raison d’échouer cinq années plus tard, avec l’expérience capitalisée et la détermination à organiser un processus électoral consensuel et inclusif qui associe l’ensemble de la classe politique malienne.

Une situation sécuritaire bien plus complexe…

Venons-en à la situation sécuritaire. Le Mali présente ses sincères condoléances à la France pour les vies perdues sur notre front, les blessures subies, et nous regrettons sincèrement les attaques dont sont victimes les soldats français déployés sur notre sol. Nous sommes un peuple reconnaissant, et ce genre d’événements, nous souhaiterions ne jamais avoir à les vivre.

De valeureux soldats maliens perdent également la vie à défendre leur patrie. Nous les saluons à travers toutes les initiatives possibles, car, sans eux, notre pays perdrait son âme. En revanche, cher homologue, vous affirmez que le Mali est dans une situation d' »inaction » plutôt que d' »action » et que le Mali n’a pas la « volonté » de résoudre ses problèmes sécuritaires. Etes-vous au fait de la Loi d’orientation et de programmation militaire de 2015 qui, au Mali comme en France, « prépare l’avenir » ? Connaissez-vous ne serait-ce que les grandes lignes de notre stratégie de réforme du secteur de la sécurité qui a commencé en 2013 ? Avez-vous entendu parler du programme de démilitarisation, démobilisation et réinsertion qui est en cours depuis la signature en 2015 de l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du Processus d’Alger ? Savez-vous que le Mali investit chaque année, aux côtés de la Minusma, des milliards de F CFA sur ressources propres afin d’améliorer son service de renseignement militaire ? Avez-vous connaissance des opérations conjointes menées par les Forces armées maliennes et leurs frères d’armes français dont l’Etat-major s’est félicité jeudi dernier pour ne citer que l’exemple le plus récent ? Si c’est cela que vous appelez « inaction », je vous le concède volontiers.

Expliquer, comprendre et échanger

Le Mali a la chance d’avoir de nombreux partenaires qui l’accompagnent dans la résolution de cette crise multidimensionnelle à laquelle il fait face, tout comme ses voisins, et dont la résolution prendra au moins une décennie. « Connaisseur connaît », selon un adage populaire de chez nous.

Vous ne connaissez visiblement pas ou pas assez. Le pouvoir malien est d’autant plus conscient des enjeux actuels qu’il reste prudent dans ses actions et ne ressent pas le besoin de rendre publiques nombre d’actions gouvernementales dans le domaine de la sécurité, car relevant du secret-défense.

Les institutions maliennes, tout comme la France au Mali, apprennent de cette situation unique et sans précédent dans laquelle se trouve notre pays. Vous devriez faire pareil. A cet effet, les membres de la commission défense et sécurité de l’Assemblée nationale du Mali sont disposés à vous aider à approfondir votre appréciation de nos réalités.

Karim Kéita   

L’Indicateur du renouveau du 04 juillet 2018 

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