Narley vient de sortir avec un petit sac d’habit. Elle a été arrêtée pendant qu’elle marchait dans une des rues d’Oran, en Algérie. Narley est une des migrantes qui a tout perdu. C’est avec l’habit qu’elle portait depuis qu’elle est arrivée à Niamey qu’on a arraché sa vie.
Elle avait honte de rentrer au pays avec le seul habit qui s’était collé à son corps. Depuis la déportation du pays où elle avait mis sur pied un restaurant pour les Noirs vivant à Oran, elle n’avait plus rien pour se changer. Ses clients étaient surtout des ressortissants du Cameroun et du Liberia, son pays d’origine.
L’Union africaine est la trahison de l’Afrique réelle, celle de Narley et des milliers qui, tout comme elle, ont été arrêtés, déportés, abandonnés au désert avant d’atteindre Assamaka, la frontière avec le Niger. Traités comme des animaux, des objets, des marchandises, des esclaves !
Honte aux dirigeants africains qui ne savent rien de leurs peuples et à qui les pauvres n’intéressent pas. Indignes fils et filles de ceux qui ont donné leur vie pour l’indépendance de la dignité confisquée par les colonisateurs. Vous êtes de la même espèce, formée aux mêmes écoles, avec le même style de vie et leurs mêmes idéaux. Vous êtes leur miroir, des copies de ceux qui vous ont précédé dans la prédation du pays.
Honte à vous, traitres des valeurs plus authentiques de ce continent que vous ne représentez pas, vous dont le sang de vos fils resté sur les grillages et les barbelés de l’Europe-Forteresse ne dit rien. Et vos silences vis-à-vis des morts ensevelis dans la mer ne fait que confirmer la complicité avec les assassins de l’Europe. Vous êtes leurs lâches complices et vous ne méritez pas de représenter les peuples qui vous maintiennent au pouvoir moyennant l’argent des élections.
Pourquoi vous vous taisez avec les abus de l’Algérie vis-à-vis des milliers des migrants rendus une marchandise jetable de vos politiques du silence. Des camps de concentrations en Libye (déjà avec Kadhafi), les camps que vous permettez prendre pied sur le sol africain. Vous êtes la ruine des peuples africains. Vous vous plaisez à parler du numérique, du marché unique africain, de la corruption et des transitions démocratiques des pays qui sont régis par des dictateurs que vous protégez.
Vous ne savez rien de Narley qui avait honte de rentrer dans son pays, quitté en 2013, afin de chercher ailleurs sa dignité. Elle a laissé ses deux enfants au Libéria et avait mis sur pied un restaurant pour ses compatriotes et les autres Noirs qui, en toute impunité, sont au Maghreb méprisés et réduits en esclavage. Elle avait la honte que vous avez depuis fort longtemps perdu et avec vous ceux qui vous ont choisis pour présenter la face visible de l’Afrique invisible, celle des mis de côté et marginalisés dont vous dites de vous occuper.
Narley était contente d’avoir trouvé des habits et a rempli un petit sac afin de ne pas rentrer chez elle les mains vides. Faites comme elle. Apprenez à vous habiller de dignité, avant qu’il ne soit pas trop tard.
Mauro Armanino, Niamey, juillet 2018
