C’est avec euphorie et un espoir naïvement démesuré que les opposants au régime de l’UDPM et des patriotes avaient globalement accueilli l’avènement du multipartisme en 1991, qui était censé conduire le pays à une vraie démocratie. Oui, une démocratie qui favorise l’éclosion et la promotion des initiatives et l’émergence d’entreprises compétitives porteuses d’emplois et de croissance ; une démocratie qui protège les droits et les libertés des citoyens et respecte la dignité humaine ; une démocratie qui garantit la promotion d’une éducation de qualité et cultive l’excellence. Enfin une démocratie qui assure la justice, la paix, la sécurité et la prospérité sociale, économique et culturelle.

L’espoir suscité était d’autant plus grand (voire onirique) que les fraudes massives, (des plus dérisoires aux plus sophistiquées) qui ont émaillé les élections générales de 1992 ont été tolérées et vite oubliées. Malheureusement une des conséquences de cette impunité fut l’institution de la fraude électorale comme un phénomène normal, parfaitement légal dont personne ne s’offusque désormais. 

Il s’en est suivi un « État » de dérèglement démocratique, où – au lieu de travailler à  promouvoir une culture démocratique authentique afin que le peuple soit, au fil du temps, capable de s’approprier son histoire et de prendre son destin en main – on a œuvré à traiter les Maliennes et les Maliens comme des faire-valoir, telle une bande de râleurs auxquels on offre des défouloirs pour leur donner l’impression qu’ils comptent, alors que c’est juste pour tirer d’eux une légitimité factice en vue de s’autoriser à gouverner malgré des incapacités et des insuffisances notoires

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Les Assises de la Refondation tant prônées par le Premier ministre, auxquelles il tient comme à la prunelle des yeux,  s’inscrivent elles aussi – à n’en point douter – dans cette logique de faire cautionner par une partie de la population, un projet impertinent qu’une vraie et légitime représentation du peuple   n’aurait jamais approuvé. 

Il faut qu’on comprenne enfin – et pour toujours – qu’un groupuscule a beau se faire l’écho des misères et des préoccupations du peuple, il ne saurait pour autant représenter ce peuple, encore moins se substituer à lui. L’article 26 de la constitution du 25 février 1992 (encore en vigueur) est très clair : « La souveraineté nationale appartient au peuple tout entier qui l’exerce par ses représentants ou par voie de référendum. Aucune fraction du peuple, aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice. »

Le DNI malgré tout

Dans la situation de délitement actuel du pays, l’idée d’Assises de la Refondation  paraît séduisante à première vue. Mais eu égard à l’absence de TDR précis à ce jour et au contexte (l’urgence de revenir à un régime constitutionnel normal et la nécessité de respecter les engagements internationaux), ces assises ne sont ni réalistes ni utiles, encore moins urgentes, et chacun le sait. Car elles ne peuvent être que superfétatoires dans la mesure où le Dialogue national Inclusif (DNI) avait déjà valablement planté le décor d’un nouveau départ pour le Mali. En effet les conclusions du DNI avaient fait objet d’un consensus assez large et satisfaisant pour constituer une base solide (voire incontournable) en vue d’enclencher une vraie bataille pour un Mali nouveau.

Le DNI avait fait un bon diagnostic de l’état de la nation et avait abouti à des résolutions et recommandations dans lesquelles les Maliens de bonne foi  se reconnaissent. La légitimité du DNI n’avait pas été contestée pour la bonne raison que – vivement demandé par les acteurs politiques-  il  avait réuni au cours des concertations menées graduellement des communes jusqu’au niveau national en passant par les cercles et les régions, toutes les forces vives et sensibilités du pays (partis politiques, société civile et ONG, légitimités traditionnelles et confessions religieuses, syndicats et couches socio-professionnelles, associations de femmes et de jeunes, etc.).  Qui dit mieux ? 

Le reproche qui pourrait être fait volontiers au DNI, c’est de n’avoir pas prévu une septième commission de travail qui aurait eu pour tâche exclusive de plancher sur le comité de suivi de la mise en œuvre des résolutions et recommandations. Mais on avait juste évoqué un comité de suivi, dont il aurait fallu – à travers cette commission supplémentaire – prévoir la formalisation par décret, et définir déjà au cours du DNI le format, la composition, les critères de choix des membres, les objectifs, les missions, un chronogramme et des indicateurs etc. Du coup, ce comité qui n’a jamais vu le jour aura fait du DNI une regrettable œuvre inachevée, servant ainsi de prétexte à ceux qui ambitionnent de « réinventer la roue ». 

Par ailleurs, dans la foulée du coup d’État du 18 août 2020, la junte avait – dans ses toutes premières déclarations – manifesté son ferme engagement à mettre en œuvre des conclusions du DNI, notamment celles portant sur les éléments prioritaires susceptibles d’être réalisés dans le délai imparti. Était-ce un effet d’annonce pour s’assurer une adhésion massive du peuple ? Dans tous les cas, c’est la preuve qu’aucun débat national sur la situation du Mali n’est encore nécessaire après un forum comme le DNI. Ce qui importe aujourd’hui c’est la mise en œuvre urgente des recommandations relatives à la question sécuritaire auxquelles s’ajoutent désormais les nouvelles préoccupations engendrées par le coup d’État, en l’occurrence le retour à une vie constitutionnelle normale.  

Si on fait une fixation sur la question de délai (de la durée de la transition) c’est parce qu’aucune avancée véritable n’a été enregistrée jusqu’ici par rapport aux préoccupations et objectifs qui auraient motivé le coup d’État. Les interpellations récentes pour fait de corruption sont peu convaincantes, puisqu’elles ne concernent que ceux qui étaient censés agir avec la caution et la bénédiction de celui sous l’autorité duquel ils étaient tous employés.

Que pourraient cacher les assises version Choguel

En tout état de cause, il sera hypothétique de voir quelque chose de nouveau dans ces Assises dites de la Refondation, par rapport à ce que tous les Maliens savent déjà en termes de constat et de pistes de solution à la crise multidimensionnelle. Sinon amener insidieusement ceux qui y participeront (pas forcément les plus désintéressés, ni les plus représentatifs)  à soutenir un PAG intentionnellement démesuré dont tout le monde sait que le quart n’est pas réalisable en une décennie, voire deux, et à décider une prorogation du délai de la transition qu’on fera passer pour la volonté du peupleEt le tour sera joué ! En plus, pourquoi le Premier ministre Choguel tient-il à ce que ces assises soient souveraines, alors que même la Conférence nationale  de 1991 ne l’était pas ?

Les Maliens ont massivement soutenu la transition puisque le coup d’État les a mis devant le fait accompli. Ce soutien ne prendra pas une ride si les autorités de ladite transition (maintenant qu’elles sont absoutes du crime du coup d’État par un CNT dont la légitimité demeure sujette à caution) restent sur la trajectoire qu’elles ont définies dès le début des évènements, à savoir le recouvrement de l’intégrité du territoire et l’organisation des élections générales.

Si – de bonne foi – on s’en était tenu à ces deux objectifs, des progrès notables auraient été enregistrés à la date d’aujourd’hui, et les délais seraient bel et bien tenables, en tout cas ceux-ci ne seraient pas une obsession. Mais les faits sont en train de prouver au fil des jours, qu’il y a une volonté délibérée de traîner les pieds pour mettre une fois de plus les citoyens devant le fait accompli. Et dire que d’autres Maliens ont visiblement été préparés pour soutenir cet ultime coup de force.

Les autorités de la transition doivent se garder de divertir le peuple (qui en a assez d’être méprisé par ses propres dirigeants) par le jeu insipide des « Assises de la Refondation » qui en fait, ne réjouirait que ceux qui n’ont pas fini de pressurer le Mali, ou en essayant d’embarquer le peuple dans des réactions paranoïaques sous-tendues par un orgueil malsain,  à la prise de position des partenaires désabusés, et à l’impatience accusatrice des Maliens. Elles ont à tenir leurs engagements en toute responsabilité et dignité par amour et respect pour le Mali.

L’intégrité du territoire, le point de départ de toute réforme

Pour « refonder », l’État il faut qu’il existe. Or cette existence est liée à celle d’un territoire dont il est censé disposer intégralement à temps voulu.

Le recouvrement de l’entièreté du territoire (sur lequel tout repose), et le retour effectif de l’administration et des populations dans les localités désertées constituent les priorités des priorités. Si au moins ces missions étaient en cours d’exécution avec des résultats probants, il n’y aurait pas eu de fixation sur les délais.

Mais en quoi consiste cette nouvelle tâche dont les autorités de la transition tiennent à s’encombrer ? Faut-il vraiment parler de « refondation » d’un État qui a quand même 61 ans, qui a fait l’expérience de trois républiques  et dont les fondements en tant que nation sont millénaires ?

À ce jour le concept paraît d’autant plus flou et abscons qu’aucun contenu précis n’a encore été clairement dévoilé, et que, même pour une refondation quelconque (ce qui ne devrait pas être le cas) la phase préliminaire  qui consisterait à en jeter seulement les bases, pourrait durer des lustres.

Les contestations post-électorales, une question de bonne foi

Il n’y a aucun doute que les élections transparentes, fiables et largement acceptées soient une préoccupation majeure des autorités et de tous les patriotes. Mais avec la fraude électorale devenue culturelle, ne faudrait-il pas « travailler au corps » le mental des citoyens plutôt que de s’acharner sur les textes ?

Aucun organe de gestion des élections – qu’il soit unique ou multiple, aussi parfait soit-il –  ne pourra éviter que des élections soient contestées, aussi longtemps  que l’orgueil, la cupidité et la voracité des acteurs les empêcheront de reconnaître leurs propres faiblesses, et de faire droit aux mérites du concurrent. 

Cette assertion n’occulte pas pour autant les frustrations et les accusations réelles liées à la fraude généralisée et aux tripatouillages des résultats, notamment par ceux qui en ont l’opportunité de par leur fonction et leurs prérogatives.

La problématique de la fraude électorale au Mali rappelle à suffisance l’histoire du voleur qui crie « au voleur ! ». Tous les protagonistes s’adonnent à la fraude, dont le degré de sophistication et d’efficacité est proportionnel aux moyens mis en œuvre, si bien que celui qui sort gagnant est vu comme celui qui aura le plus frauder. D’où l’exacerbation des jalousies et des contestations à n’en jamais finir. Et, pour se donner bonne conscience ils arguent « qu’il n’y a pas de morale en politique ». Scandale !

Alors que dans nos sociétés traditionnelles aussi bien que dans des démocraties qui se veulent modernes, l’autorité ou le pouvoir, ne peut être confié qu’à des personnes dont l’intégrité morale est sans reprocheLa fraude électorale est immorale parce qu’elle consiste à voler la confiance des citoyens, et elle est toujours source d’instabilité à force d’accusations réciproques. « Comment peux-tu dire à ton frère : “Frère, laisse-moi t’enlever cette paille que tu as dans l’œil”, alors que toi-même ne vois pas la poutre qui est dans le tien ? Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil; alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère. » – Évangile selon St. Luc. Chapitre 6, verset 42. 

La présidentielle de  2018 a été contestée surtout parce que, premièrement, rares étaient les acteurs politiques qui pouvaient parier sur sa tenue, car l’état d’impréparation était si apparent qu’on ne faisait pas confiance au Premier ministre qui rassurait malgré tout. Deuxièmement, la plupart desdits acteurs jurent de « faire la peau à IBK » (pas forcément à son régime parce que beaucoup des mêmes étaient parties prenantes du système d’une façon ou d’une autre). En effet, ils avaient pour unique mot d’ordre : « tout faire pour que IBK ne soit pas réélu », et peu importe la façon d’atteindre cet objectif.

Malgré toutes les prises de positions, les défaillances incontestables de la gouvernance en tous les domaines, le front social qui se montre intraitable sur les  inégalités récurrentes, c’est la modification par la Cour Constitutionnelle – avec l’injonction avérée et la bénédiction du Président de la République –  qui a mis le feu aux poudres. La goutte a débordé le vase !

Revendications maximalistes parfois suspectes des uns, entêtement impénitent des autres, tous les ingrédients étaient réunis pour en arriver à ce qui semble poser l’un des plus grands casse-têtes de notre histoire récente : d’un côté des autorités acceptées en dépit d’un acte formellement interdit confrontées à une réalité du pouvoir auxquelles elles étaient loin d’être préparées ; et de l’autre,  des citoyens excédés par l’insécurité, impatients, inquiets et soupçonneux au bord de l’implosion.

Pour sortir de tout cela, la vérité, la bonne foi et l’abnégation, tout un arsenal de valeurs éthiques devra être de mise.

Limites des textes – recours aux valeurs traditionnelles positives (le Danbé)

Les réformes législatives, politiques et institutionnelles sont sans doute indispensables. Mais, depuis qu’on en fait, ont-elles déjà changé grand-chose dans les manières de penser et dans les comportements ? Il est temps d’apprendre à élaborer dans la transparence et dans l’intérêt exclusif du peuple, des objectifs clairs et précis qui commandent les réformes, et de s’habituer à évaluer celles-ci par moment en toute objectivité. 

En tout état de cause, que valent les meilleurs textes du monde s’ils sont snobés  sans le moindre scrupule, par ceux pour l’organisation et le bien-être desquels ils sont élaborés ? 

Lorsqu’un citoyen use de tous les moyens dont il dispose pour contourner la loi (pour ne pas payer ses impôts par exemple) n’y a-t-il pas là une question d’éthique et de dignité et non un problème de texte ? Quand un usager de la route, ne voyant pas un policier alentour, brûle allègrement un feu rouge ou s’engouffre piètrement dans un sens interdit pour mettre en danger la vie d’autrui, qu’est-ce qui est en cause véritablement ? La loi ou les hommes ?

Il est de notoriété que nos anciens royaumes et empires étaient gouvernés selon une organisation sociale, économique, politique et humaine mieux élaborée que celle des sociétés dites civilisées, et qu’il en était ainsi  jusqu’à une époque relativement récente. Si les générations actuelles qui se sont dévoyées du reste, évoquent avec une certaine fierté ces temps anciens à travers des ancêtres vertueux en pleine possession de tous leurs moyens, c’est parce  que le respect du prochain et des valeurs sociétales, de l’ordre et des règles, du vivre ensemble et du bien commun, était un principe sacré auquel  nul n’osait déroger. Et pourtant ces anciens – comme de braves gens encore dans certaines contrées aujourd’hui –  ne savaient ni lire ni écrire dans aucune langue (y compris la leur  propre). 

Les Maliennes et Maliens conviennent de plus en plus que c’est l’Homme malien lui-même qui doit être changé, reformaté pour lui faire comprendre que les solutions à ses problèmes résident tout prêt de lui dans  ses valeurs morales et sociétales fondées sur le respect des droits et de  la liberté de l’autre, sur le culte de l’honneur, de la dignité humaine et du bien commun.  

Comment comprendre qu’on paie des étrangers pour venir nous aider à élaborer notre loi fondamentale, pendant que kurukanfuga, une source inépuisable et inégalable de droits, est de plus en plus reconnu comme la première,  et l’une des mieux élaborées  des constitutions du monde des temps modernes ?

Des organisations de la société civile, des religieux et des traditionalistes, enfin les « danbetigi », conscients du paradoxe des incongruités de la démocratie malienne, devraient œuvrer pour se faire entendre davantage et mieux, au moment des réformes. Par exemple, il serait judicieux et hautement opportun de prévoir d’ores et déjà dans la nouvelle constitution, la création d’une énième institution qui s’appellerait “Haut Conseil (ou Haute autorité) des Légitimités Traditionnelles ».

Cette nouvelle institution devrait fonctionner comme un organe de veille indépendant et puissant, qui agirait comme un régulateur pour conseiller, prévenir, alerter et interpeler par rapport à l’éthique dans la gestion de toutes les  affaires publiques, et déclencher en cas de besoin, une procédure de destitution en accord avec d’autres institutions renforcées, à l’encontre d’un haut responsable de l’administration, ou même d’un président de la république, pour éviter la survenue de coup d’état à chaque fois.

Les NTICs pour plus de sincérité des résultats de vote

Enfin il est temps, si on le veut  vraiment,  de recourir aux nouvelles technologies pour diffuser les résultats des élections en temps réel, afin que ceux-ci soient disponibles dès la fermeture des bureaux de vote (en tout cas dans les deux ou trois heures). Pourquoi ne pas voir comment le PMU-Mali parvient à maximiser les prestations des revendeurs de tickets avec des terminaux connectés de grande fiabilité. 

Dans tous les cas, si on veut on peut, notamment de la part d’un gouvernement de la République.

Calixte Traoré

Consultant/formateur – Indépendant Tel. : 66739167/ 76485668- ACI 2000 – Bamako

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