À 19 mois presque de la Présidentielle, les regards se tournent désormais vers Koulouba, convoitise des aspirants à exercer le pouvoir. La capacité de la transition à remettre le train de la gouvernance sur les rails de la démocratie est posée.

Goïta s’émancipe

La quasi-totalité de la classe politique s’est inclinée devant la volonté du Président de la transition, le colonel Assimi Goïta, de faire un pas vers un retour à la démocratie comme l’illustre l’adoption de la loi électorale du 24 juin dernier. Pour la première fois, Goïta s’est émancipé des faucons du pouvoir à qui profite le conflit Mali/Cedeao. Premier acte concret de Goïta depuis le 24 mai 2021, date de son 2eme putsch. Hélas ! Pour les réformes à venir, il devra emprunter le même chemin, celui de l’action. Désormais, les Maliens peuvent rêver. D’autant qu’après sept mois de sanctions, lors de sa soixante-et-unième session ordinaire de la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement, la Cedeao lève les sanctions économiques et financières contre le Mali : réouverture des frontières, retour des ambassadeurs Cedeao à Bamako… Partiellement, car le Mali reste toujours suspendu des instances de la Cedeao, qui maintient des mesures personnelles contre les dirigeants de la transition. La proposition d’un chronogramme réaliste et réalisable de la part de la transition a enfin permis cette levée des sanctions. Par ailleurs, le bon sens commanderait aux dirigeants de la transition de ne pas se présenter à la prochaine élection présidentielle. La manœuvre peut être dangereuse. 

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Imprescriptibles parricides

Le Mali revient dans le giron de la Cedeao. Les évènements bouleversent l’ordre normal des choses. En ce moment, les Maliens exultent. Garantie : Goïta s’engage à organiser l’élection présidentielle en février 2024. En réalité, le pouvoir ne pouvait plus tenir sous embargo. Les conséquences sociales et économiques pourront être difficilement éclipsées par l’euphorie de la levée des sanctions. Mais passons. En tout cas, finies les spéculations sur la sortie du Mali de la Cedeao ; finies les formules à l’emporte-pièce sous prétexte d’indépendance et de patriotisme ; fini l’entretien des foyers de tension à Bamako alors que le Centre et le Nord du pays nous échappent. Quel sera le nouveau cheval de bataille des faucons du ciel de la ville des 3 caïmans ? De toute façon, la levée des sanctions économiques et financières suscite un espoir au Mali : retour à la normalité, retour des civils au pouvoir, apaisement des tensions internes… Dans ce contexte, le plus important pour l’exécutif, c’est de répondre aux enjeux de sécurité, de paix et d’unité. Nous devons arrêter l’horreur infligée par les groupes narcoterroristes aux populations. Sur l’autel de la vengeance et des folies meurtrières, les narcoterroristes affament, isolent, poignardent, violent, etc. Imprescriptibles parricides ! Autant de meurtriers à juger que de dirigeants à sortir de l’immobilisme pour reconstruire la paix et le vivre ensemble.

Marcher vers la paix

La problématique du vivre ensemble est capitale. Partout, il y a de ces visages, emplis d’humanité, qui expriment cette immense envie de paix : paix du quotidien avec les voisins, paix entre nous, paix avec les voyageurs, paix d’être en paix avec soi-même. Le génocide rwandais n’a pas empêché aux Tutsis et Hutus de faire la paix, malgré les horreurs indicibles. Les Libériens ont fait la paix après les pires massacres de leur la 1ere guerre civile. La Saint-Barthélemy n’a pas empêché à l’Europe d’avancer. N’oublions pas que c’est nous, Maliens, qui avons été narcoterroristes (Kouffa, Ag Ghaly), bourreaux (Aguelhoc), criminels (Ogossagou, Sobaneda, Songho, Ebak, Ouattagouna, Tessit, Diallassagou, etc.) de nos autres frères et sœurs. Nous avons aussi fossoyé le développement : corruption, clanisme politique… Mais, on continue à s’étonner des excès du narcoterrorisme alors que nous devons répondre de nos actions devant la justice. Notre responsabilité est engagée pour la vérité. Sans naïveté, celle de la communauté internationale aussi. En attendant, observons que nous devons marcher vers la paix en étant bienveillant avec nous-mêmes et avec les autres, « à vouloir du bien à autrui ».

Redonner le sourire aux Maliens

Être bienveillant, c’est adopter un discours, un regard, une façon d’être qui fait du bien aux autres. Par exemple, se montrer tolérant, voir les bons côtés de nos concitoyens plutôt que leurs mauvais côtés. L’amour, la compréhension et le respect doivent l’emporter sur les inimitiés, les abandons, les souffrances ou la violence. Les victimes du narcoterrorisme et du banditisme, des emprisonnements et des condamnations injustes, savent à quel point la bienveillance est un besoin primordial et universel. Qui n’attend pas que l’on ne se soit pas gentil avec lui ? Qui supporterait l’indifférence ? Par la bienveillance, nous devons chercher à nous faire du bien et faire du bien aux autres. D’ailleurs, c’est le sens des fêtes religieuses (chrétienne, musulmane ou traditionnelle). Evidemment, la bienveillance ne nous soulage pas de toutes nos souffrances, mais elle rend notre vécu quotidien moins désespérant et agressif. Au Mali, un malade reste reconnaissant devant son visiteur. Rendre visite à un malade, c’est aussi l’inviter à lâcher prise, et à se tourner vers l’espoir, la guérison. Même symboliquement. Aujourd’hui, le Mali est comparable à ce malade. Les autorités de la transition doivent être bienveillantes pour redonner le sourire aux Maliens. Pour la paix. « Kuuru bii, yer ma din cere » comme le chante Fissa Maïga, Woyini Bibi. Donnons-nous la main, et cessons de faire la chenille, pour le meilleur et pour le pire.

Désormais le conflit avec la Cedeao est terminé, un nouveau roman commence

Désormais, le chef de l’exécutif doit se consacrer à la recherche de compromis (Amara : 2015) pour l’adhésion des Maliens aux réformes essentielles à venir. « L’un des problèmes majeurs de la transition, demeure le temps. C’est le temps notre ennemi. Donc, Moi, je crois que cette transition aussi ne doit pas être une période d’essai. On l’a dit, et le redit. Nous allons à l’essentiel », rappelle le Président du CNT, Malick Diaw, au ministre de la Refondation, Ibrahim Ikassa Maïga, le 17 juin dernier. Dans un contexte de massacres, de blocus, de banditisme et de risque de séparatisme, de vraies options démocratiques doivent être proposées par l’exécutif en collaboration avec les partis politiques, les associations et les syndicats. Le but est de créer les conditions d’un dialogue politique et social fécond pour retrouver les chemins de la démocratie. Certes, le mandat de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) a été renouvelé jusqu’au 30 juin 2023. Certes, sous couvert de « formulations intrusives concernant les droits de l’homme » ou « la résolution adoptée ne répondait pas aux principaux besoins des Maliens », les soutiens du Mali (Russie-Chine) se sont abstenus lors du vote de renouvellement de mandat de la Minusma. Mais prenons nos responsabilités. À la place des discours vaporeux sur les bords du fleuve Djoliba, négocions le virage de la paix, l’idéal qui nous attire tous. Désormais le conflit avec la Cedeao est terminé ; un nouveau roman commence. Dans la bienveillance, je vous souhaite bonne fête sur cette chanson, « Rat Race », de Bob Marley, “In the abundance of water. The fool is thirsty” « Dans l’abondance de l’eau, le fou a soif » Bob Marley.

Mohamed Amara 

Sociologue

Auteur du livre, Marchands d’Angoisse, le Mali tel qu’il est, tel qu’il pourrait être (2019). 

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