Dr. Bréma Ely Dicko, chef du département sociologie, anthropologie à l’Université des lettres et des sciences humaines de Bamako, souligne que l’Etat devrait songer à légiférer contre les crimes perpétrés sur les albinos. Il estime que l’événement tragique de Fana devrait même en être l’élément déclencheur.
Au Mali, les albinos sont parfois victimes de meurtres et d’enlèvements mystérieux liés à des croyances ancestrales. Une fois tués, certaines parties entières de leurs corps sont enlevées ou découpées en morceaux pour servir d’offrandes à des sorciers ou à de prétendus djinns. D’autres parties sont utilisées pour préparer des médicaments vendus à des hommes d’affaires ou politiques.
Selon Dr. Bréma Ely Dicko, chef du département sociologie, anthropologie à l’Université de Bamako, tout crime est un délit comme son nom l’indique. « Il faudra condamner de tels actes avec la dernière rigueur. Pour les albinos, c’est un cas particulier, qui n’est pas récent. Lorsqu’on remonte dans l’Histoire des sociétés africaines, on retrouve ces crimes partout en Afrique et au Mali. Souvent, on retrouve les cas dans les zones aurifères et diamantifères. On assiste à ces cas de barbarie où on décapite les personnes. En plus, ces gens-là, pensent que les têtes des albinos peuvent leur permettre d’être au pouvoir », rappelle-t-il.
Pour le sociologue, « ce qui est arrivé à Fana est déplorable. C’est une mère qui a été privée de sa fille. C’est un gâchis pour tout un pays. Mais, au-delà de ça, ils ont violé le droit de l’enfant. C’est un enfant qui aurait dû aller à l’école, vivre comme m’importe quelle autre personne au Mali », s’insurge Dr. Dicko.
L’injustice en cause
Dr. Dicko estime également qu’une mobilisation collective est nécessaire. « Les acteurs politiques et la justice ont montré leurs limites dans ce pays. Dans bien des cas, c’est l’impunité. Pourquoi, ces genres de barbaries continuent d’exister dans le pays ? Malheureusement, le cas de Fana n’est pas un cas singulier. La même chose est arrivée dans d’autres régions du Mali. C’est fait aux yeux de tout le monde. On commence les enquêtes dans certains cas les suspects sont arrêtés. Même si, certains sont sanctionnés, disons que la sanction n’est pas forcément à hauteur de souhait parce que c’est les mêmes acteurs qui vont répéter ces genres des crimes », déplore-t-il, ajoutant que pour le cas de Fana le bourreau est un radié de la protection civile et de la gendarmerie nationale.
« Normalement, si on était dans un pays où les textes étaient appliqués avec rigueur, il serait puni. Dès la première fois, il a été viré d’un corps et ensuite il a intégré un autre corps, ça veut dire qu’il a dû utiliser de stratagèmes et ceux qui l’ont embauché sont responsables de cette situation. C’est toujours les parents, les amis, les proches qui interviennent pour qu’on l’intègre dans un corps », croit savoir Dr. Bréma Ely.
Comment protéger les albinos ?
De l’avis de l’expert, la justice devrait d’abord s’atteler à punir les bourreaux reconnus coupables de crimes contre les albinos. En période électorale (présidentielle, législatives ou locales), il conseille aux parents de veiller sur leurs enfants atteints d’albinisme.
« La communauté doit aussi veiller quotidiennement sur ces personnes. Après la période électorale, il faudrait que l’Assemblée nationale légifère complètement sur cette situation. Qu’il y ait une loi particulière pour les albinos », propose Dr. Dicko, car, précise-t-il, cette loi devrait faire en sorte que les albinos trouvent leur place dans la société malienne.
« Il faut multiplier les campagnes de sensibilisation pour montrer qu’être albinos n’est pas un choix, mais plutôt une maladie et que les albinos sont comme les autres individus. Il faut changer de regard sur eux, qu’ils n’ont pas besoin de notre pitié ou de notre compassion. Qu’ils ont juste besoin qu’on les considère comme des personnes normales. Que l’Etat fasse cette loi, qu’il y ait des mesures discriminatoires positives pour les albinos tout comme les femmes. Qu’ils bénéficient des appuis comme des bourses de formation. En tout cas, qu’il y ait des dispositifs qui feront que les albinos seront bien traités », suggère Dr. Dicko.
Il propose aux autorités de répertorier les marabouts et féticheurs qui sont, selon lui, les couches les mieux placées pour faciliter le combat contre le phénomène. « Quels sont les types d’activités qu’ils mènent ? Faire le listing de tous les marabouts parce qu’ils sont comme des guérisseurs traditionnels. En cas de problèmes, l’enquête serait facile à mener ».
Hamissa Konaté
Le Focus du lundi 18 juin 2018