Le paysage médiatique malien est l’un des plus fournis de la sous-région. Cependant, il reste également l’un des plus précaires. Les journalistes du secteur privé sont frappés de plein fouet par cette précarité financière. La vie de journaliste au Mali est un combat quotidien entre salaire dérisoire et absence de protection sociale.

Il est 5 heures du matin. La femme de I.T. se lève de bonne heure pour faire son petit commerce de vente de galettes dans ce quartier périphérique de Bamako, où le couple vit dans un appartement qu’ils louent à 30.000 francs par mois. À 7 heures, les enfants se réveillent, la maman leur donne des galettes pour le petit déjeuner. I.T., quant à lui, ne va pas manger le traditionnel repas de la famille aujourd’hui car il a un événement à couvrir à partir de 9 heures. Là-bas, il mangera à la pause-café. Il pourra également envoyer de l’argent de la popote à sa femme une fois qu’il aura son per diem, « le communiqué final ». Cet argent va permettre à sa femme de faire un peu de bénéfice aujourd’hui sur son commerce qui nourrit parfois toute la famille. Elle gagne en moyenne 2000 CFA de bénéfice par jour.

Après avoir déposé ses deux enfants à l’école, I.T. prend 2000 francs CFA d’essence à crédit chez son ami pour pouvoir aller suivre sa conférence. Une fois sur les lieux, il cherche à avoir la liste des médias invités et, sans surprise, son organe n’y figure pas. Toutefois, il y inscrit son nom pour espérer toucher le précieux sésame : « le communiqué final ». La conférence terminée, le chargé de communication décide de donner uniquement le per diem aux médias invités. Après une entrevue, I.T. finit par avoir cinq mille au lieu de dix mille. C’est avec cet argent que I.T. doit nourrir sa famille et assurer les frais médicaux de tout le monde avec ce mode de paiement aléatoire. Sans salaire, I.T. ne bénéficie également pas de couverture sociale. « Quand un membre de la famille est malade, je suis parfois obligé de prendre crédit avec mes proches » regrette-t-il.

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La liberté du désordre

A la chute du régime dictatorial, le Mali a assisté à une multiplication des médias « libres ». Cependant, plusieurs de ces médias n’ont pas été créés sous forme d’entreprise. Au Mali, selon Reporters sans frontières, il y a plus de 200 titres de journaux, plus de 500 radios et plusieurs dizaines de chaînes de télévision.

A.C., le directeur de publication de I.T., après trois ans en tant que journaliste dans un organe de presse qui n’arrivait plus à le payer, a décidé lui aussi de créer son journal. Une fois sa licence en lettres modernes terminée, n’ayant pas les moyens d’aller se former, I.T. est allé faire un stage chez A.C., nouveau patron de presse. A.C. déplore cependant cette précarité dans la profession. « C’est compliqué d’avoir les publicités afin de prendre en charge les dépenses du journal » , explique-t-il, avant d’ajouter « qu’il regrette de ne pas pouvoir payer ses journalistes, tous les mois ». Bien que les premiers organes de presse privés aient été créés sous le régime de Moussa Traoré, c’est à sa chute que ces derniers ont connu une explosion. Selon Sadou Yattara, directeur de publication du journal Aurore, le métier nourrissait son homme à l’époque. « J’ai été directeur de publication, j’ai payé mes employés jusqu’au milieu des années 90. » Avec un nombre pléthorique d’organes de presse, les chances ne sont pas les mêmes pour tout le monde. Associations et faîtières, tous, travaillent pour une amélioration des conditions de vie des journalistes. L’Union des journalistes reporters du Mali (UJRM) organise chaque année la Nuit de l’UJRM qui vise à récompenser les meilleurs organes de presse toute catégorie confondue, objectif : primer les meilleurs patrons de presse selon des critères bien définis par l’union. « Nous primons les patrons de presse au cours de l’année. Des patrons dont les employés sont dans de meilleures conditions afin de pousser les autres à faire comme eux. » explique Aboubacar Kanouté, président de l’UJRM, une association de journalistes qui œuvre pour une amélioration des conditions de vie des reporters. L’Association des éditeurs de presse privée regrette cette multiplication des titres de journaux. Selon le président Ousmane Dao, les journaux se créent « chaque jour », un nombre pléthorique qui s’illustre bien par les conditions difficiles dans lesquelles les employés travaillent.

La nécessité d’une réforme

En 2009, l’Union nationale des journalistes du Mali a élaboré la convention collective de la presse. Un accord régissant les rapports entre employés et employeurs. Il prévoit le personnel à employer dans un organe de presse, le traitement salarial qui leur est dû. La convention exige en outre l’immatriculation des travailleurs des organes de presse à l’Institut national de prévoyance sociale. Cet accord n’a pas pu être appliqué jusqu’à nos jours « pour faute de ressources » selon le président de l’UNAJOM, Fakara Fainké.

Sadou Yattara pointe du doigt le manque d’organisation des professionnels, mais pas seulement : « Si les services sociaux, associations de journalistes faisaient correctement leur travail, les organes n’allaient pas exister de façon non professionnelle”. Selon lui, une structure comme la Haute autorité de la communication peut veiller sur des aspects économiques : « Dans un pays comme la Côte d’Ivoire, l’organe de régulation gère ces aspects-là. » explique-t-il avant d’interpeller les services sociaux sur le cas des journalistes maliens ne bénéficiant d’aucune protection sociale. Créée en 2014, la Haute autorité de la communication, l’instance de régulation des médias maliens, entend s’enquérir des conditions dans lesquelles travaillent les journalistes maliens du secteur privé. « Dans les jours, voire les mois à venir, nous nous intéresserons aux conditions salariales qui sont offertes aux journalistes maliens. » explique Gaoussou Coulibaly, président de la HAC. Aujourd’hui, à défaut d’une couverture sociale, les journalistes peuvent s’offrir l’assurance de la Mutuelle générale de la solidarité de la presse (MUGESPRESSE). Pour être membre, il faut payer les frais d’adhésion de 2500 FCFA et une cotisation mensuelle de 750 FCFA. « L’adhésion du chef de famille suffit à faire adhérer tous les membres de sa famille, seule la cotisation de 750 FCFA est individuelle » explique le président Aly Diarra avant de préciser que « cette cotisation suffit à prendre en compte une prise en charge qui pourrait s’élever à 100 mille voire 200 mille. » La MUGESPRESSE, créée depuis près d’une décennie, peine à s’imposer au sein de la profession. Les nouveaux textes dans le circuit, s’ils sont adoptés, doivent permettre de redorer le journalisme malien. Ces textes viennent revisiter ou régir tous ceux qui n’avaient pas été pris en compte par les lois sur la presse malienne. C’est dire donc que cette précarité financière des journalistes désarme le soldat de l’information et l’expose à toutes les dérives. Elle agit comme un virus car elle détruit les défenses immunitaires des journalistes, les laisse sans défense, loin du respect de l’éthique et de la déontologie. Et avec elle, l’appui et le renfort à la démocratie se trouvent menacés, voire inexistants.

Aly Diabaté

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