Economiste de formation et rompu dans les arcanes de la macroéconomie ayant occupé de hautes fonctions dans notre pays avant de faire valoir ses droits à la retraite, Dr. Lamine Kéita aborde dans cette interview, la question du changement du F CFA à l’Eco.

Mali Tribune : Pourquoi la monnaie est-elle importante dans l’économie ?

Dr. Lamine Kéita : Avant de voir son importance dans l’économie, qu’est-ce que la monnaie ? En effet, la monnaie est sujette à beaucoup de controverses entre les spécialistes de l’économie : inutile selon certains, la monnaie est un voile que l’on peut enlever pour voir l’essentiel qui se situe ailleurs dans le secteur réel de l’économie, pour d’autres, la monnaie est essentielle dans l’économie comme le sang dans le corps humain.

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En réalité, la monnaie qui reste encore inconnue des spécialistes en économie, objet de fantasmes, de tous les excès et enjeux, représente l’instrument de mesure en économie, comme le  thermomètre l’est pour la thermodynamique. Pour ce faire, elle doit faire l’objet d’un usage précis pour une finalité précise, celle d’assurer la juste mesure des biens et services entre les coéchangistes, comme le thermomètre établit, de façon définitive et sans appel, la température d’un mélange soumis à observation.

Mali Tribune : Pourquoi la souveraineté monétaire est-elle un préalable au développement économique ?

Dr. L. K. : Cette idée de souveraineté fait partie de ces affirmations appuyant l’importance de la monnaie tout en oubliant que beaucoup de pays puissants à travers le monde l’auront abandonnée pour confier à une instance régionale indépendante la gestion de leur monnaie : il en est ainsi des pays membres de l’euro qui ont peur d’élargir davantage leur union, quand, des pays membres battent de l’aile dans l’espoir d’être poussés dehors. Par ailleurs, les pays africains de la zone franc utilisent une monnaie qu’ils achètent à la France et cela depuis plus de soixante ans et dont les conditions d’achat viennent d’être allégées par le Président français qui n’exigerait plus que la moitié des devises de ces pays soit déposée au Trésor français. Il est donc évident que cette souveraineté n’est ni nécessaire ni suffisante pour le développement économique. Malgré cela, voici une fausse idée qui garde la vie dure devant elle.

Mali Tribune : L’éco Cédéao est-elle une bonne monnaie pour le développement de la zone ?

Dr. L. K. : Cet éco est souhaité pour approfondir l’intégration des pays concernés et est entouré de bonnes intentions. Cependant, dans l’ignorance de ce qu’il représente comme instrument de mesure, cet éco qui se veut différent du F CFA, qui reste mal connu, est appelé à être une monnaie sans support comme pour faire la différence avec ce F CFA. En faisant, sans le savoir, la Cédéao va proposer un éco qui représentera un instrument de mesure dont on aura oublié de fixer la dimension, ainsi qu’on le ferait pour mettre en place une unité de mesure qui s’appellerait mètre, mais qui n’aura pas été définie dans une matière donnée. Donc, l’éco Cédéao sera un instrument moins bon que le F CFA qui dispose d’un support qui lui sert de définition. De plus, cet éco, qui sera dangereux pour la population, va être régulièrement déprécié sur les marchés et entrainer une inflation appauvrissante dans les pays. Cet éco CEDEA va faire regretter l’ère du F CFA, pourtant aujourd’hui décrié.

Mali Tribune : Pourquoi l’éco Macron demeure une entrave au développement des pays de l’Uémoa ?

Dr. L. K. : En réalité, l’éco Macron n’est pas différente du F CFA actuel. Cependant, la France, à travers cet éco Ouattara-Macron, en allégeant la souffrance des pays utilisateurs du FCFA par le renoncement au dépôt de la moitié des réserves de change des pays de l’Uémoa, permettra à la Bcéao de disposer désormais de plus de ressources pour la gestion de l’économie de ces pays, sans oublier que la France se retire des instances de décision au niveau de la Bcéao.

En revanche, historiquement, il convient de savoir que ce F CFA n’est que la réplique de l’écu, la seconde monnaie du Roi au moyen-âge français, qui était soumis à la manipulation frauduleuse pour extirper l’argent de la population au profit du Roi. Ce dispositif d’extorsion a été supprimé par le décret du 18 germinal an III (7 avril 1795), lorsque le Franc, doté du décime et du centime, a été substitué à la Livre, faisant ainsi disparaître l’écu ainsi que la manipulation frauduleuse à laquelle il était soumis. Malheureusement, 150 ans après, en 1945, l’écu a été créé à nouveau sous le nom de F CFA et placé dans les colonies, et plus tard reconduit dans les pays indépendants issus de ces colonies.

Donc, un tel FCFA, ou un tel Eco Ouattara-Macron, étant cette unité monétaire hybride comme l’écu, susceptible de subir ces manipulations frauduleuses aux conséquences appauvrissantes pour la population utilisatrice, ne peut servir le développement.

Propos recueillis par

M. Touré

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