Siby a célébré du 12 au 15 décembre, pour la treizième fois, les cauris dans toute leur dimension. Le directeur général du festival international des cauris du Mandé (Fescauri), Madjou Yattara, fait le bilan de cette année et des éditions précédentes. Il parle aussi du rôle et de  la place des cauris d’hier à aujourd’hui, bien qu’ils soient considérés par certains comme « objet dépassé« .

Mali tribune : Qu’est-ce que nous pouvons retenir de cette 13e édition du Fescauri ?

Madjou Yattara : Elle s’est bien déroulée. Nous avons commencé le festival le 12 décembre officiellement avec une belle veillée de chasseurs qui était animée par Sékoubani Traoré. Plus de 400 chasseurs « donzo«  y ont pris part. En termes d’innovation,  nous avons organisé cette année un atelier de formation de dix jours sur les techniques de création  et de commercialisation des perles à l’endroit d’une dizaine de jeunes filles déscolarisées ou non scolarisées de Siby. Avec la promotrice de la marque Tamacaly, Assétou Gologo dite Tétou, les jeunes filles ont appris à confectionner des perles. Les résultats ont été exposés à la cérémonie d’ouverture du festival. En concert, beaucoup d’artistes ont joué sur scène comme Saramba Kouyaté,  Kani Sidibé, Habib Koité, Awa Gang, Pap C.  L’édition a aussi fait la promotion des rappeurs et artistes locaux en herbe.  Les populations sont sorties massivement pour les accueillir. Les festivaliers ont eu le plaisir de découvrir  l’immense potentialité du Mandé à travers la démonstration des masques dogons, cette fois-ci, pas venant du pays dogon, mais du mandé et la visite des sites touristes comme les puits sacrés, maison des chasseurs,  du Karité, l’arche de Kamadjan, la grotte de Fanfaba et des randonnés botaniques et à vélo. Fescauri a également fait une conférence débat sur le thème du festival : identités, paix et développement.

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Mali tribune : Qu’est-ce qui justifie le choix de ce thème ? 

M. Y. : Le thème colle à l’actualité, vu l’insécurité dans laquelle vit le pays et les conséquences sur nos activités.  En tant qu’acteurs culturels, nous nous demandons sur notre contribution d’abord pour assurer la paix mais également sur notre propre identité. Est-ce qu’on se reconnait ? Est-ce qu’on utilise encore les vieilles recettes qu’on avait comme le « sinakouya«  le « mogoya« , etc.  On a beaucoup accusé les autres, mais qu’est-ce que nous avons fait pour en arriver là. Nous avions l’habitude de faire intervenir des personnes ressources dans la société  comme les griots, les chasseurs sur ces questions. Il s’agissait à travers cette conférence débat de définir tout ceci et  de situer leur contribution  à la réalisation de la paix.

Mali tribune : Quel rôle peuvent jouer les acteurs culturels  dans l’instauration de cette paix ?

M. Y. : Par le dialogue, le retour à nos valeurs traditionnelles et ancestrales. Fescauri, depuis 13 ans, nous essayons de promouvoir justement l’identification, la préservation de nos valeurs traditionnelles à travers les arts divinatoires, la médecine traditionnelle, etc.

On n’avait vu que les jeunes au Mali avaient plus de connaissances de l’histoire de l’occident que sur leurs propres histoires. Ils connaissent les villes européennes que leurs propres villages. Il y a les conséquences, mais il y a plusieurs causes notamment les réseaux sociaux et les médias. Certes, on est dans un monde globalisé, on comprend qu’on ne peut pas vivre en notation mais il  est important qu’on  prenne en compte dans notre système d’éducation nos valeurs. Le Fescauri est culturel, mais éducatif aussi pour que l’on puisse inclure les valeurs culturelles et traditionnelles qu’on avait.

Chaque année, on change de thème pour permettre justement aux gens de rappeler. Par exemple, nous nous trouvons dans le village cauri du festival, on n’est pas en train de promouvoir forcement la géomancie en tant que telle, non.  On montre que ça existe, que c’est une réalité sociale. Maintenant, c’est au gens de la faire ou pas.  Nos ancêtres l’ont toujours utilisé. On est sous l’arche de Kamadjan. Il ne faisait rien sans consulter. Pour Soundiata, c’était pareil. C’est un peu notre objectif : restaurer nos valeurs qui sont en voie de disparition et ça permet au moins de ne pas enterrer cette histoire.

Mali tribune : Quel rôle et place occupent les cauris aujourd’hui dans la société malienne ?

M. Y. : Ils représentent beaucoup de choses. Si on veut se définir comme Africains, en tout cas les Africains qui sont à l’étranger, deux choses montrent qu’ils sont Africains ou qu’ils s’identifient à l’Afrique : le cauri et le bogolan.

Aujourd’hui, certains pensent que c’est un objet dépassé, mais d’autres le revendiquent et le valorisent. A présent, on utilise le cauri dans la décoration. C’est un objet de parure qui n’a pas disparu, même sur le plan médicinal.

Parce que même les médecins, quand ils ont un enfant, ils ont recourt d’abord en premier à la médicine traditionnelle. On lave le bébé, etc. Ça  continue encore même chez les intellectuels, quand l’enfant doit pousser des dents, on lui met des choses à la taille et au cou. Ce n’est pas de la médecine moderne. On continue encore à utiliser les cauris dans beaucoup de choses et la consultation également se poursuit.

Mali tribune : Est-ce que cette 13 édition du Fescauri a autant impacté sur le développement de Siby ?

M. Y. : Sur le plan local, on sent l’impact du festival. Quand on venait à ici en 2007, il n’y avait que deux campements mais aujourd’hui on a une dizaine.  Ils sont construits et entretenus par des opérateurs économiques. Ce sont des emplois générés. Pendant le festival, tout marche à Siby. Des différents secteurs de développement économique du commerce à l’écotourisme et autres.  

En plus, la ville s’est modernisée en treize ans.  Elle a été mise en lumière grâce par la presse et les grandes chaines nationales et internationales. Bien qu’elle ne soit pas la seule ville du Mandé, actuellement Siby est l’une des villes les plus visitées et connues.

Sur le plan national, le festival est considéré par le ministère de la Culture et du Tourisme comme l’un des meilleurs festivals du Mali. C’est important pour nous en termes de satisfaction par rapport au travail qu’on fait.

Et puis les gens viennent de partout. Nous mobilisions entre 5 et 10 mille personnes de toutes les nationalités pendant les quatre jours du festival. Cette année, on a reçu des délégations venues de la Côte d’Ivoire,  du Burkina Faso,  du Benin et de la Guinée. Ça crée un peu cette cohésion et relation  entre le Mali et d’autres pays.  C’est une visibilité en termes d’impact pour le pays.

Mali tribune : Quelles sont vos perspectives pour pérenniser ces acquis ?  Est-ce que l’aménagement du site actuel du festival est au cœur des projets ? 

M. Y. : Effectivement, nous allons construire dans les mois à venir sur notre propre site. Il fait trois hectares. Une fois terminée, toutes les activités seront menées là-bas y compris l’hébergement des festivaliers. Mais on va continuer à loger certains dans les autres campements de la ville.

Dans nos perspectives, comme annoncé lors de la cérémonie d’ouverture de cette année, nous comptons également développer des produits touristiques comme les chevaux.  Parce qu’avant, quand on venait, tout le monde partait visiter l’arche de Kamadjan. Présentement, on a tracé des parcours où les festivaliers vont se balader en nature avec les chevaux, visiter des sites botaniques avec les experts et faire des randonnées sur le mont mandingue.

Mali tribune : Este-vous satisfait de cette édition ?

M. Y. : Très satisfait. Malgré toutes les difficultés, on arrive à tenir. Nous avons fait treize éditions sans interruption malgré la crise.

C’est vraiment avec beaucoup de difficultés, il faut le reconnaitre par rapport à la mobilisation financière et à la situation sécuritaire du pays.

Nous avons été obligés de déployer des forces de sécurité dans toute la zone. En temps normal, on n’a pas à subir ça.

Sur le plan de la mobilisation, c’est très difficile aussi. La ville reçoit moins de touristes. Même les expatriés qui sont à Bamako ont peur de sortir de la capitale ou on les interdit de sortir. Même s’ils viennent, ils ne passent pas la nuit  ici. Cette situation joue sur l’économie locale.

Fescauri essaye d’exploiter d’autres alternatives comme le tourisme national pour qu’on puisse tenir le coup en attendant qu’on ne sorte de la crise. On a invité beaucoup d’étudiants cette année.

Propos recueillis par

Kadiatou Mouyi Doumbia

(envoyée spéciale à Siby)

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