Les grèves multiples, entre autres problèmes, semblent avoir démotivé et démoralisé les étudiants dans les universités publiques du Mali. Les enseignants-chercheurs décrient des salaires « de misère ». Des facteurs qui, selon nos investigations, expliquent certainement la corruption au sein des universités. Ainsi, un grand trafic lucratif de notes existe dans les universités publiques. Les notes sont vendues entre 100 000 F CFA et 250 000 F CFA.

Le monde universitaire malien offre des nouvelles réalités aux étudiants. Certains suent eaux et sang pour décrocher le sésame, pendant que d’autres privilégient les petits moyens et les passe-droits, juste pour avoir le diplôme.

Après les examens, les étudiants ont le droit de faire des réclamations. En effet, il arrive que par erreur, certains crédits ne soient pas portés, ou que des notes ne soient pas portées. Ces réclamations sont justement des moments également mis à profit pour tous les micmacs et tripatouillages. En effet, en ces moments, des étudiants, se disant missionnés par des enseignants, dressent des listes de volontaires, qui, plutôt que de se lancer dans des réclamations qui ne vont pas aboutir, ou sachant qu’ils n’ont rien fait, préfèrent payer. Il faut s’inscrire et payer dans ce cas.

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« Certains enseignants bâclent les corrections pour avoir plus de clients. Il faut payer entre 75 000 F CFA et 100 000 F CFA », explique un missionné, responsable d’une classe.

« A la Faculté de médecine, certains étudiants négocient le test du Numerus Clausus. Pour cela, il faut avoir le bras long, ou payer jusqu’à 250 000 F CFA », révèle un chef de département de Faculté.

En plus des notes « sexuellement transmissibles », des notes en « vente libre ». Toute la galaxie est impliquée : des étudiants missionnés par des professeurs, des professeurs qui négocient directement. On peut également négocier avec l’administration, ceux qui sont chargés de porter les notes.

Pour valider un semestre, il faut atteindre de 14 à 30 crédits, mais les candidats sont repêchés à partir de 10 à 13 crédits à la fin des examens de phase terminale tels que les semestres 2- 4 et 6 afin qu’ils valident la classe.

« Il y a des étudiants qui ne composent pas, mais qui achètent des notes. Les enseignants font des cours privés et l’étudiant amène l’argent et c’est fini. Nous avons combattu cela pendant longtemps. Le phénomène a tendance à diminuer un peu, même si on constate qu’il y a encore des résistances. Le plus souvent, les étudiants eux-mêmes sont complices de ces professeurs parce qu’ils ne viennent pas les dénoncer. Il faut que les étudiants refusent de protéger les mauvais enseignants. J’ai traité des cas lorsque j’étais chef de département et nous avons été très durs avec ces enseignants que nous avons suspendus des cours car leur culpabilité était établie », explique Pr. Idrissa Soiba, recteur de l’Université des lettres et des sciences humaines de Bamako (ULSHB).

Les techniques de vente sont multiples. Il faut payer, pour les garçons ou accorder des faveurs sexuelles. Cette méthode ne marche pas pour toutes les filles comme ce fut le cas pour Aminata Sissoko. Etudiante à la Faculté des lettres et sciences du langage (FLSL), pour arrondir ses notes, elle a accepté d’accorder des faveurs sexuelles à un professeur. Malheureusement pour elle, la chose sera sue des autres étudiants. Ne supportant plus les sarcasmes, elle a abandonné les études.

Selon B. Diarra, étudiante en Faculté des lettres, les responsables de classe collaborent généralement avec des professeurs assistants et secrétaires qui vendent les notes.

« Nous vivons dans un Mali corrompu et cette chaîne de corruption se poursuit dans tous les secteurs. Les universités n’échappent point. Chaque faculté est confrontée au même scénario même-si certaines affichent plus de rigueur. Un simple responsable de classe n’a aucun pouvoir pour falsifier les notes d’examen mais s’il arrive à donner une note quelque part, c’est qu’il est soutenu par un supérieur. La magouille autour des notes d’examen marche par tâtonnement car la voie n’est pas aussi fluide qu’on le pense », explique-t-il.

« Nous ne parvenons pas à satisfaire souvent la demande de tous les étudiants qui nous sollicitent. Généralement même certains responsables ou partisans de l’AEEM sont ajournés. Ce qui est surprenant, des filles arrivent à faire passer un responsable ou leur camarade de classe en couchant avec un professeur. Elles-mêmes ne sont pas oubliées », raconte un ancien responsable de classe.

L’Université des lettres est composée de deux facultés dont (FLSL et FSHSE) et deux instituts (IUT et Confucius). Selon les données statistiques des examens de fin d’année 2018-2019, à l’IUT, sur un effectif de 270 étudiants 157 sont admis, 36 ajournés et 77 redoublés. La Faculté des sciences humaines et des sciences de l’éducation avait 7 736 en 2018-2019 dont 4946 admis ; 1933 ajournés et 857 exclu 857.

Parmi 13 867 étudiants à la Faculté des lettres et science du langage (FLSL), il y avait plus de 7 903 admis contre 5 964 redoublants dont 2 164 filles admises et 5739 garçons admis.

Adama Sanogo est enseignant chercheur à la Faculté des Lettres et sciences du langage. Il trouve que plusieurs facteurs favorisent la corruption au sein des universités. Il cite le manque de professionnalisme de certains enseignants assoiffés d’argent. « Certains enseignants envient une vie de luxe. Pour cela, il leur faut plus d’argent, ce qui les amène à solliciter les étudiants et à mettre des réseaux. La corruption n’est pas uniquement d’ordre financier car certains enseignants couchent avec les étudiantes pour leur donner des notes. Les enseignants sont les premiers à être indexés. Sinon les étudiants aussi ont leur part de responsabilité. Ils ne veulent pas étudier et veulent avoir facilement les notes », ajoute-t-il.

La corruption, production d’un personnel médiocre

La corruption au sein des universités impacte profondément le niveau des étudiants selon le point de vue de nos interlocuteurs. « Les conséquences sont immédiates car l’étudiant ne saura rien. La technique qu’il utilise pour avoir le diplôme sera la même pour obtenir un emploi. L’Etat se retrouvera avec un personnel incompétent. Sur cent fonctionnaires, il n’y aura que six qui sont techniquement opérationnels et tout le reste sont au bureau pour jouer de la carte, regarder des films avec l’ordinateur ou tout simplement dormir. Ils seront improductifs. C’est d’ailleurs la raison qui fait que l’Etat ne marche pas. Alors que ce sont les fonctionnaires qui doivent apporter des solutions aux problèmes du pays », soutient Dr. Mamadou Bakaye Dembélé, enseignant chercheur.

Un responsable de classe qui, lui aussi vendait des notes, explique : « il faut rehausser le niveau des élèves dès le fondamental pour pouvoir bannir la vente des notes dans les facultés. Il faut une surveillance permanente et rigoureuse dans les administrations pour empêcher les professeurs et secrétaires de départements qui se tournent vers ces méthodes peu recommandables ».

Sanogo Adama, enseignant chercheur explique qu’en plus de la facilité, les étudiants sortent avec des diplômes ne reflétant pas leur niveau. A son avis, cela augmente le taux de chômage car ils n’ont pas de compétences pour mériter les postes.

Des solutions pour réduire le phénomène

Pour le recteur de l’ULSHB, Pr. Idrissa Soiba Traoré, le phénomène a beaucoup diminué car selon lui, la corruption a fait l’objet du combat des enseignants pendant plusieurs années.

« Il faut bannir la corruption des universités. Nous devons renforcer les contrôles. Que les apprenants nous épaulent dans cette dynamique et qu’ils ne soient pas dans les compromis aveugles avec des enseignants qui en réalité n’ont d’autres soucis que de s’enrichir. Dès que nous apprenons des cas, nous interpellerons ces enseignants. Mais le plus souvent, on n’est pas saisi par les apprenants. Peut-être c’est par peur de les dénoncer ou des menaces qui sont proférées ».

Plusieurs enseignants, soucieux de l’image de leur corps, ont combattu pendant longtemps ce phénomène dans les universités publiques et d’autres continuent à combattre. C’est le cas du chef de département de droit privé, Dr. Mamadou Bakaye Dembélé.

« Le tempérament que j’ai adopté dès mon arrivée n’a permis à personne de venir me proposer ces pratiques. En un moment donné, l’Association des Elèves et Etudiants du Mali (AEEM) est venue avec une liste d’étudiants et nous avons combattu cela. Depuis lors personne n’est venu me demander puisqu’ils savent que je ne suis pas dans la corruption. Sans dires quel est le niveau de corruption, nous essayons pour notre part de mettre fin à certaines pratiques depuis ma nomination au département. Nous pouvons certifier que personne ne peut payer de l’argent pour passer. La corruption ne peut pas être bannie à 100 %, car elle est une question de délinquance qui est consubstantielle à l’existence humaine. L’être humain est toujours tenté de gagner par la facilité. Au Mali, les gens profitent du manque d’autorité de l’Etat », dit-il.

Il suggère des solutions pour réduire la corruption. Selon lui, il faut intéresser les étudiants aux études en créant des espaces de rétention tels qu’une bibliothèque ; être beaucoup plus méthodique avec l’utilisation des téléphones au moment des cours et améliorer la politique salariale de l’enseignant chercheur.

« Les étudiants doivent s’auto former et aller à la rencontre des livres au lieu de passer trop de temps dans le « Grin » dans des débats futiles. Que les enseignants recrutés aient le niveau scientifique requis », conseille Adama Sanogo, enseignant.

Fatoumata Kané

Cet article est publié Avec le soutien de Tuwindi fondation

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