Le sommet de la Cédéao d’Accra du dimanche 30 mai a été très attendu. Il a abouti à des conclusions sur notre pays qui donnent l’impression très partagée, au Mali et en Afrique, de la poire divisée en deux, entre sanction et accompagnement, l’impression de la carotte et du bâton.
Le Mali est suspendu, sous embargo diplomatique et politique mais pas sous embargo économique. Ce qui est le plus important pour les paisibles citoyens, c’était qu’il n’y ait pas de sanctions économiques. Et la carotte est très belle et sucrée. Pour le gros bâton politique et diplomatique, il reviendra aux dirigeants politiques, au sommet, d’en amortir les coups.
La Cédéao a finalement fait l’analyse qu’elle n’a pas pu faire ni en 2012, ni en 2020. Lors des événements de ces années citées, elle s’est contentée de faire respecter ses textes communautaires sans aller à l’analyse contextuelle endogène.
Le Mali a souscrit à ces textes, les Maliens savent les interpréter. Reste à comprendre que quand il y a deux poids, deux mesures aussi, les Maliens le savent. Nous sommes un pays au panafricanisme chevillé au corps de chaque Malien, tel Modibo Kéita et ses compagnons nous ont légué, tel qu’il est écrit dans le préambule de notre constitution, et cette vision a été l’héritage le mieux partagé par les régimes successifs, de Moussa Traoré dans son combat sur la ligne de front, à IBK avec son titre champion pour la culture, en passant par Alpha Oumar Konaré sur le chemin de la création de l’UA, à ATT dans les fondations de la Cen-Sad.
C’est ce Mali que les chefs d’Etat de la Cédéao savent, terre fédératrice d’anciennes civilisations à l’échelle de plusieurs pays africains, de Kumasi à Aoudaghost, de Dakar à Sokoto.
Les derniers événements survenus dans notre pays et qui ont abouti à un changement de leadership au sommet de l’Etat ont été autant regrettables politiquement qu’ils ont été facilement interprétés par une grande partie du peuple malien qui a compris que l’impasse, par ces temps de fragilité, est un luxe dont il faut se départir.
Tous les Maliens veulent avancer, que ce soient ceux qui tiennent aux valeurs démocratiques ou ceux qui veulent le pragmatisme politique et situationnel.
Ce Pragmatisme Situationnel sied mieux à une Transition politique, temps de partage de pouvoirs, de vision et de solidarité. Toute entreprise solitaire aboutit à un déséquilibre entre les forces et nous mène inéluctablement au bouleversement souvent impromptu. C’est ce que nous avons vécu.
Les leçons de la Transition de 2012 n’ont pas été retenues, tout comme celles de la crise de la même année n’ont pas renseigné la gouvernance, même légitime, sortie des élections qui s’en sont suivies. Si c’était le cas, nous allions éviter facilement les événements d’août 2020.
Tout en laissant tout cela derrière nous, sachons nous servir de nos erreurs pour éviter le pire à notre pays.
Le Renouveau de la Gouvernance souhaitée par chaque citoyen passe inexorablement par le changement individuel, par le retour de la vertu en nous et en ce que nous posons comme acte.
Comment nous indigner de coup d’Etat alors que nous fermons les yeux sur nos propres dérives, celles du voisin, du parent, de l’agent public, du chef institutionnalisé ?
Nous avons des tribunaux crasseux que l’argent public peut mieux entretenir, dans lequel nous partons rendre justice dans l’indifférence avec souvent des décisions que notre engagement citoyen peut améliorer.
Nous avons des amphithéâtres universitaires bondés et crasseux, des années universitaires qui se chevauchent, un espace universitaire violent et personne ne s’indigne.
Nous avons une presse paupérisée avec la mal formation de ses hommes, par un nombre pléthorique de titres, de radios et de plus en plus de télévisions sans aucune exigence sociale de la qualité et personne ne s’indigne.
Nous avons un système électoral ombrageux qui ne met pas souvent les plus méritants des suffrages citoyens au-devant et face à cette fraude, personne ne s’indigne.
Nous avons des cadres de l’administration publique qui se préoccupent plus de l’accumulation de richesse que de distribuer le service public, mais aucun signe de révolte.
Nous avons une pléthore de partis politiques dont la plupart sont chétifs avec comme seuls membres le président et quelques proches et qui savent fournir les documents requis pour avoir des subventions publiques, personne ne crie au scandale.
Nous avons des élus dans nos collectivités qui pensent que la redevabilité est une chimère et nous les laissons faire.
Lorsque pour le recrutement dans nos Forces armées et de Défense, dans nos services publics, le Président, sa famille, le parti au pouvoir prennent leur quota, nous fermons les yeux mais lorsque ces agents de Défense et de Sécurité, faiblissent dans leur mission, nous en faisons les boucs émissaires faciles.
Je pourrai citer à foison nos propres déviations et dérives individuelles et collectives qui ont fini de faire de nous une démocratie artificielle, difficilement vendable à la foire des démocraties et nous faisons les faux fiers.
Quand il y a coup d’Etat tout le monde crie à la mort du Mali, à sa disparition. Le Mali se meurt depuis des années par ces actes parricides et par notre indifférence.
Nous sommes dans le coup d’État permanent depuis des décennies et nous sommes tous auteurs de coups d’états, chacun à son petit niveau.
Ce que nous voyons sur la place publique est la somme de nos coups d’Etats individuels. Voulons-nous réellement un Mali plus sain, brillant ? Ce sera par nous ou rien. Changeons nous-mêmes.
Pour le reste, la situation nouvelle sortie des événements du 24 mai 2021 est une opportunité. Il y a une carte à jouer pour un nouveau départ, pour une Transition de la rectification, du redressement, du renouveau.
Je ne parlerai pas de Refondation, car pour un jeune Etat qui n’a même pas encore l’âge adulte, je refuse de parler de Refondation. Nous n’avons même pas fait la moitié de ce que nous avons promis de faire avec les différentes entités de notre Etat. Nous avons des institutions jeunes, une pléiade de textes insuffisamment appliqués, des projets de développement insuffisamment aboutis, des objectifs de développement peu atteints.
Nous voulons créer une Cour des comptes, la Haute cour de Justice n’a jamais jugé quelqu’un, parce que notre architecture judiciaire n’est pas encore achevée.
Nous n’avons même pas de routes bitumées entre toutes nos principales agglomérations et régions. Nous n’avons même pas pu faire la moitié de l’aménagement de l’Office du Niger, encore moins avoir des Compagnies aériennes, un système ferroviaire viable, on ne peut même pas bien se soigner ni en ville ni en campagne faute de système viable, etc., bref nous n’avons pas amorcé le tiers de notre fondation a fortiori parler de Refondation. Sortons des titres pompeux et soyons réalistes.
Pour cette nouvelle page qui s’ouvre, tous les volontaires de ce redressement voulu doivent être pris en compte et que les lois et règlements qui existent soient enfin appliqués à la lettre et dans l’esprit.
Enfin pour le débat autour du choix des partenaires, et ce récurrent débat entre la Russie et la France. Les États n’ayant pas d’amis que leurs propres intérêts, il faut aller avec pragmatisme et défendre nos propres intérêts, citoyens et dirigeants Maliens ensemble et en bloc, car c’est cela notre force positive, dire aux puissances que chacune a sa place dans le respect du Mali et des Maliens. La France nous a colonisés et en 1960 nous nous sommes séparés d’elle en toute souveraineté.
Dans l’ambiance de la guerre froide nous avons contracté avec la Russie et cela a laissé de bons souvenirs, notamment au niveau militaire. Il va sans dire que celui qui nous a maintenus dans la dépendance ne peut se refaire une virginité d’ami que s’il change de lunettes pour regarder l’ancien dominé d’homme égal à égal, même si le droit international est souvent contourné par la loi du plus fort.
Tous les amis ont leur place au Mali et chacun doit faire acte de volontarisme dans cette amitié. En somme, mettons nos amis en concurrence et travaillons avec ceux qui nous respectent et qui ne soient pas dans la duplicité permanente. Le titre de partenaire exclusif doit être mérité et non arraché.
Le langage géopolitique est de plus décodable par le villageois comme par le citadin éveillé, à travers le grand flux informationnel facilité par le numérique et les réseaux sociaux.
Le Mali vivra, survivra et vibrera par nous et nous seuls les Maliens. Qu’on se le tienne pour dit !
Alassane Souleymane
Journaliste