Au Mali, l’assassinat de l’imam Abdoul Aziz Yattabaré  à l’aube du samedi 19 janvier 2019  par un jeune de 26 ans a relancé le débat sur la peine de mort. Sur les réseaux sociaux, certains extrémistes vont jusqu’à réclamer l’application de la charia. Ainsi, à l’initiative du Collectif des associations musulmanes du Mali, un grand meeting a été organisé le samedi 26 janvier 2019 pour exiger l’application stricte de la peine capitale comme stratégie de dissuasion.

« Nous sommes trahis par nos dirigeants. Aujourd’hui, ce n’est qu’un meeting, mais le jour où vous nous verrez avec des gilets jaunes, c’est ce jour que vous comprendrez… L’assassinat de notre maître et imam ainsi que toutes les autres victimes des actes criminels des derniers jours ne doivent pas rester impuni », a martelé Mohamed Kimbiri, promoteur de la radio islamique Dambé. « Il faut qu’il y ait de la justice dans ce pays. Un tueur doit être tué », a exigé une intervenante au meeting.

« Tous ceux qui ôtent la vie à une autre personne doivent être punis comme ils le méritent », a aussi laissé entendre l’imam Modibo Konaté. Demandant à tous de s’unir afin que « les règles de Dieu puissent être instaurées  dans ce pays », il a défendu que « les assassins doivent être punis par la dernière rigueur ».

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Depuis le début de l’année, plusieurs personnes ont été assassinées à Bamako pour leurs biens. Sans compter les braquages souvent en pleine journée. Et les citoyens ont commencé à exprimer leur colère par le retour de la vindicte populaire appelée « article 320 » (asperger les voleurs d’essence en les brûlant avec un pneu au cou). Ainsi, lundi dernier (28 janvier 2019), deux jeunes ont été brûlés vifs après avoir tenté de braquer une agence de microcrédit au marché de Médine.

Aujourd’hui, que vaut réellement la vie humaine face à l’argent ou à la mégalomanie ? « Presque rien si l’on se réfère à la généralisation des crimes ces dernier temps. La vie de l’homme n’a jamais été aussi banalisée que de nos jours. Même si force est de reconnaître que le crime est aussi vieux que le monde », répond Moussa Kéita, une notabilité de la capitale.

Et de rappeler qu’on égorge, poignarde, fusille… sans crainte, presqu’en toute impunité. Et nos interlocuteurs déplorent que rares sont les criminels (surtout les auteurs de crimes passionnels) qui sont condamnés à hauteur de souhait. « Beaucoup de Maliens pensent que les criminels s’en sortent généralement à bon compte », souligne un magistrat qui a requis l’anonymat.

Mais, est-ce qu’une raison suffisante pour appliquer la Charia et déterrer la peine de mort ? Il convient d’abord de rappeler que même si elle est rarement appliquée par la justice, la peine de mort n’est pas encore abolie au Mali. Au grand dam de ceux qui se battent pour cette abolition.

Est-ce qu’exécuter un criminel est assez dissuasif pour réduire les crimes crapuleux et odieux ? Le constat est que, rappelle le magistrat, les pays qui appliquent le plus la peine de mort (Iran, Singapour, Etats-Unis, Arabie saoudite, Bahreïn, Chine, Irak) n’ont jamais pu mettre fin à ces meurtres.

Capitaliser l’éducation pour pallier la peine capitale

Bien au contraire, ce sont des Etats qui battent des records en matière de criminalité. « Deux officiers de police partis interpeller des citoyens qui doivent faire face à la justice sur ordre d’un procureur ont été lapidés à mort chez nous, il y a juste quelques jours… Et des dizaines de Peuls soupçonnés de collaborer avec des terroristes ont été égorgés ou fusillés par une foule en colère. La peine de mort peut faire quoi dans ces deux cas ? », s’interroge un confrère burkinabé dans un débat sur les réseaux sociaux.

« Si on l’applique, ce sont des villages entiers qui disparaissent parce que leurs habitants, sous le coup de la colère, ont ôté des vies », ajoute-t-il.

Pour nos interlocuteurs, l’éducation est la meilleure stratégie pour faire face à ces crimes. « La meilleure chose pour éviter la désacralisation progressive de la vie humaine, c’est d’offrir une bonne éducation à nos enfants dans les familles, à l’école. Et il faut aussi exiger de l’Etat qu’il joue son rôle régalien », propose Adama Diarra, professeur dans un lycée privé de Bamako.

« Tant qu’on n’enseignera pas aux enfants que la vie humaine est très sacrée, c’est peine perdue. Les lois ne dissuadent plus », souligne Soumaré Amina Fall, sociologue. Comme elle, ils sont nombreux ceux qui sont convaincus que « l’éducation est fondamentale dans la vie en société… L’éducation est la base ou à la base de tout, minime soit-elle… Une société non éduquée est une société égarée pouvant facilement se transformer en jungle ».

« Il est vrai que les actes de criminalité se sont multipliés depuis le début d’année. Et pourtant, les forces de défense et de sécurité font de leur mieux. On aurait pu connaître pire que dans un Etat en déliquescence avancée sans leur présence effective sur le terrain nuit et jour », note un officier de la gendarmerie à la retraite.

Elargir le champ de collaboration entre les citoyens et les forces de sécurité

« N’empêche, il est indispensable d’accentuer les efforts pas seulement en déployant plus de moyens humains et matériels, mais en sensibilisant davantage les populations pour renseigner les forces de sécurité. Les citoyens minimisent beaucoup d’activités suspectes qui doivent être signalées à la police ou à la gendarmerie afin de prévenir d’éventuels actes criminels », conseille-t-il.

Les organisations de défense des droits humains ne se sont pas pour le moment officiellement prononcées sur ce débat sur l’application de la peine capitale au Mali.

En tout cas, depuis le 28 janvier 2019, le ministère de la Sécurité et de la Protection civile a annoncé la mise en œuvre d’un nouveau dispositif sécuritaire dans la capitale. Un plan axé sur de « grandes mesures prises pour rassurer davantage les populations ».

Il a lui aussi insisté sur « la nécessaire complémentarité devant exister entre population et Forces de sécurité, sans laquelle, la lutte contre l’insécurité sera vaine ».

Dans la matinée, le ministre a rencontré l’ensemble des chefs d’unités des différents corps relevant de son département avec lesquels, « un diagnostic sans complaisance de la situation sécuritaire a été posé et des instructions fermes ont été données et qui prendront effet à compter du lundi 28 janvier 2019 ». Les populations attendent maintenant de voir les résultats.

Moussa Bolly

Le Focus du 4 février 2019

Encadré

Présente sur tous les continents

L’application de la peine de mort dans le monde est présente sur tous les continents. Mais, depuis plusieurs décennies, nombre de pays l’ont abolie. Ainsi, 104 pays l’ont supprimée pour tous les crimes, 9 seulement pour les crimes de droit commun et 28 n’y ont pas eu recours depuis au moins dix ans et semblent avoir pour pratique officielle ou officieuse de s’abstenir de procéder à une exécution, même si elle reste en vigueur.

A la fin de l’année 2017, 106 pays (la majorité des Etats dans le monde) avaient aboli la peine de mort dans leur législation pour tous les crimes et 142 (plus des deux tiers des Etats) étaient abolitionnistes en droit ou en pratique. Amnesty International a recensé au moins 993 exécutions dans 23 pays en 2017 (sans compter la Chine, où les statistiques ne sont pas disponibles) et au moins 2591 condamnations à mort dans 53 pays en 2017. Fin 2017, au moins 21 919 personnes se trouvaient dans le quartier des condamnés à mort.

M. B.

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