L’annonce du président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), le soir du 16 avril, sur la tenue d’une concertation nationale au sujet du projet de révision constitutionnelle suscite bien des interrogations.

Si l’idée va dans le sens des revendications des acteurs politiques et sociaux, les arrière-pensées sont tout autres. Pourquoi lancer une concertation uniquement sur le projet de révision constitutionnelle ? Pourquoi tant de précipitation ? Cet agenda serré s’explique par la pression des parrains internationaux de l’Accord d’Alger signé en 2015 entre Bamako et les groupes rebelles. Le Conseil de sécurité des Nations unies exige que la nouvelle Constitution intègre le principe d’une régionalisation, conformément à l’accord.

En se pliant à ces exigences, le président malien se met à dos son propre peuple, qui dénonce la tutelle étrangère et la présence des troupes françaises et celles de l’ONU, guère parvenues à assurer la sécurité malgré une importante présence militaire et des moyens matériels et financiers conséquents. La forte mobilisation lors de la manifestation du 5 avril à Bamako et les slogans appelant au départ des troupes françaises et à la démission du premier ministre expriment le ras-le-bol des citoyens face à l’incapacité de l’Etat d’assurer la sécurité des populations, à l’inaction des forces internationales lors des massacres des populations civiles dans le centre du pays et aux zones d’ombre de l’intervention de la France qui n’a pas permis jusqu’à présent le rétablissement de l’autorité de l’Etat malien à Kidal.

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Laisser passer la bourrasque

Plus grave est la réaction du pouvoir, plus occupé à ménager ses parrains qu’à apaiser les inquiétudes des citoyens. L’opposition, soucieuse de ne point déplaire à la France sur laquelle elle compte pour lui faciliter l’accès au pouvoir, en fait tout autant. Si elle rejoint les meetings et les marches de protestation des religieux, elle évite d’aller protester devant l’ambassade de France. A l’exception du parti de l’ancien premier ministre Zoumana Sacko, l’opposition reste évasive sur la question de la souveraineté nationale piétinée par les agissements occidentaux. Quant à la mouvance politico-religieuse, elle joue à fond la fibre nationaliste en dénonçant l’impérialisme français, mais en gardant le silence sur celui de ses parrains arabes du Golfe dont elle ne refuse jamais les subsides. Son but : se positionner dans la lutte pour la succession d’IBK.

Car la bataille pour 2023 a en effet déjà commencé. En témoignent la démission du premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga et le dépôt d’une motion de censure par des députés du parti majoritaire et de l’opposition.

Devant la cristallisation du mécontentement populaire autour de sa personne, le premier ministre a esquivé la charge et donné sa démission. Sa chute n’est pas une surprise. Enhardi par la victoire du président aux dernières élections dont il fut l’architecte principal, il se croyait essentiel au système mis en place. Dans la foulée, il érigea une machine à aspirer les militants et élus des autres partis politiques, surtout de son allié principal, le parti présidentiel, dont les dirigeants sentirent l’affront et entrèrent dans le jeu de sa déstabilisation.

Son erreur fut de traiter avec mépris les adversités rencontrées. Il savait que le président n’allait pas de lui-même le congédier. C’est le parti présidentiel qui s’en chargea, joignant sa voix à celle de l’opposition parlementaire. Politicien aguerri, Soumeylou Boubèye Maïga reste l’un des acteurs les plus avisés et audacieux de la scène politique malienne. Il serait imprudent de l’enterrer prématurément. Il sait se tapir, laisser passer la bourrasque et guetter le moment propice pour rebondir. Ancien directeur des services de renseignement, il a certainement étoffé sa capacité de nuisance lors de son passage à la primature et n’hésitera pas à l’utiliser contre ses adversaires. Au Mali, les prochains règlements de comptes risquent d’être destructeurs.

Quant à l’imam Dicko, président sortant du Haut Conseil islamique, il semble avoir pris une longueur d’avance. A défaut d’être roi, il se veut faiseur de roi. D’où son alliance avec les marabouts des milieux d’affaires, dont il est devenu le porte-drapeau. Il connaît suffisamment le landerneau politique en perte de crédibilité. Excellent tacticien, il avance ses pions, prend des risques et garde l’initiative par rapport aux autres acteurs.

Système de prédation

Dans ce contexte de guerre larvée entre les acteurs politiques, que cherche le pouvoir en lançant une concertation nationale aux objectifs si limités ? Il ne veut pas prendre de risque, mais il joue en même temps avec le feu. Tout en montrant patte blanche à ses tuteurs internationaux, le régime fait le pari que ses opposants joueront le jeu prescrit par les puissances occidentales. Ce faisant, il fait fi de l’opinion de son peuple et de sa détermination à se faire entendre. Majorité et opposition veulent assurer la survie d’un système de prédation qui a fait jusqu’ici leur fortune commune. Arriveront-elles à s’entendre sur le partage du gâteau du pouvoir et à taire les ambitions des uns et des autres face à un pouvoir au bout du rouleau ?

La concertation nationale ne réglera pas le fond du problème. Elle reprend la vieille méthode des conférences nationales basée sur l’auto-cooptation des élites. Le peuple sera mis à l’écart. On fera la sourde oreille face à ses murmures jusqu’à la prochaine secousse, qui risque d’être explosive. Mais le pouvoir semble avoir perdu tant de crédibilité qu’il lui sera difficile d’en assurer la maîtrise d’œuvre et de conduire le processus. Saura-t-il dénicher les hommes indépendants et crédibles pour le faire ? L’opposition n’exigera-t-elle pas de placer des gens de son bord ? Ne risque-t-on pas de retomber dans un consensus fourre-tout ? Sans indépendance véritable de la structure chargée de l’organiser et de la piloter, la montagne risquera d’accoucher d’une souris.

L’autre interrogation porte sur la nature des débats. L’étendue et la gravité de la crise sont telles qu’il est aléatoire de s’en tenir au seul sujet de la révision constitutionnelle. Le pouvoir semble ne pas s’en apercevoir, tout comme ses opposants, focalisés qu’ils sont sur la conservation du pouvoir ou sa quête. Le pays est en flammes et ils semblent ne pas s’en inquiéter. Pour les opposants, tout est de la faute du pouvoir. Il suffit de remplacer les hommes et tout rentrera dans l’ordre. On oublie allègrement que la majorité du personnel politique qui s’agite au-devant de la scène nationale a participé, deux décennies durant, à la gestion du pouvoir. Aux yeux des populations, tous font partie du problème mais pas de la solution. Le président du Haut Conseil islamique le sait. Que fera-t-il au moment opportun ?

Crise systémique

Le régime semble avoir perdu l’initiative. Au-delà de son discrédit, sa fragilité vient de sa faible capacité d’anticipation. Il puise essentiellement dans des ressources humaines peu à même de lui apporter le souffle rénovateur dont il a tant besoin. Son manque de vision et de courage politique, son alignement sans discernement derrière les forces étrangères auxquelles il a confié sa survie, le déconsidèrent auprès de son peuple. Le Mali a pourtant besoin de vraies réformes et d’un changement réel de leadership.

La désignation d’un nouveau premier ministre et la formation d’un gouvernement ne résoudront pas la crise systémique de l’Etat. Ballotté entre ses tuteurs et les seigneurs de guerre qui occupent une bonne partie du territoire national, le pouvoir se refuse à convier le peuple à des assises nationales souveraines.

C’est aux Maliens de désigner leurs vrais représentants qui indiqueront les chemins d’une refondation du pays. Ce n’est pas d’expertise dont le pays a besoin, mais d’une véritable sagesse populaire pour mettre fin à l’ère des oligarques qui ont confisqué le pouvoir au nom d’une prétendue démocratie.

Issa N’Diaye, ancien ministre malien de la culture et de l’éducation, est professeur de philosophie à l’université de Bamako.

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