Ancien élève de Solomane Kanté, l’inventeur de l’écriture N’Ko, Dr. Mamady Keita est un savant malien, spécialisé dans l’écriture N’Ko. Animateur d’une émission sur cette écriture à la radio Mali depuis trente ans, il explique que les autorités doivent revisiter l’histoire du Mali afin de l’adapter au contexte actuel pour sauver le pays. Pour cela, il propose des ateliers et séminaires devront être organisés avant toute révision de la constitution.

Mali Tribune : Quels sont les mécanismes traditionnels de gestion de conflits au Mali ?

Dr. Mamady Keita : Les multiples crises que traversent actuellement notre pays, sont les résultats de l’abandon de nos us et coutumes et de notre manière d’être. Nos aïeuls avaient tout prévu, comme toute société civilisée, pour préserver la paix. Ils avaient mis des gardes fous pour prévenir, pour  ne pas en mettre fin, mais prévenir les conflits. 

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Ils avaient mis en place des stratégies pour empêcher les conflits intercommunautaires. Par exemple, il était interdit qu’un peulh se batte contre un forgeron, idem entre un dogon et un bozo ou encore entre un soninké et un malinké, etc. Les ancêtres avaient constaté que la majorité des conflits étaient liés à la terre et la chefferie. C’est pourquoi, ils avaient décidé de nommer comme chef, le patriarche. Chez d’autres, c’était le plus âgé seulement. Car, il faut le préciser, un patriarche n’est pas forcément le plus âgé.

Nous avons tout abandonné au profit de l’occident. Or, l’occident ne peut être un modèle pour nous. La culture des lois et le concept de constitution a existé 500 ans avant la France. Donc, nous devons comprendre qu’on aurait pu faire mieux. Notre constitution actuelle ne reflète en rien notre manière de vivre, notre culture, notre être. C’est plus proche de la vie et du système de vie français. Le code pénal est pareil. Cela pose forcément un problème.

Mali Tribune : Quelles solutions proposez-vous ?

Dr. M. K. : Nous sommes un grand peuple qui a connu beaucoup d’empires. Nous devons revisiter notre histoire et voir ce qui est fonctionnel actuellement. Nous devons les adapter au contexte, à notre manière de vivre ensemble pour échapper à l’éternelle crise de gestion. On ne peut jamais gérer une nation sans tenir compte des aspirations et du style de vie de la population. C’est cela qui nous échappe.

Mali Tribune : Au Mali, on parle beaucoup plus de causerie à plaisanterie pour résoudre les problèmes. Qu’en pensez-vous ?

Dr. M. K. : La causerie à plaisanterie, comme on l’appelle en bambara « sinankouya » est un garde-fou. Elle facilite le vivre ensemble et la cohésion sociale. Elle contribue à maintenir la paix entre les familles, entre la femme et sa belle-famille et vice-versa. Nous avons fait plus de 800 ans dans cette situation, sans problèmes majeurs et en toute harmonie. Mais, aujourd’hui avec l’arrivée des colons, nous avons eu des écoles qui n’enseignent pas nos valeurs mais plutôt ceux des arabes ou de l’occident. Il s’agit de l’école française et arabe. Nous avons donc contribué à tuer notre propre civilisation et manière d’être.

Mali Tribune : Comment faire pour promouvoir nos valeurs ?

Dr. M. K. : Il faut organiser des séminaires et des forums sur notre propre histoire et prendre ce qui a marché au temps de l’empire du Ghana, du Sosso, le Mandé, l’empire Songhai, etc. Nous moderniserons ce dont nous avons besoin et l’adapterons au contexte.

Mali Tribune : Votre dernier mot ?

Dr. M. K. : La construction du Mali est simple. L’unique problème que nous avons aujourd’hui est celui des intellectuels. Le premier exemple est que la majorité de nos intellectuels maitrisent mieux Paris, Londres, New York, la Mecque etc., et leur histoire que le Mali. Nous ne sommes pas ces gens. Dans leurs histoires, nous n’existons pas et comment travailler avec cela pour gérer notre pays. Impossible. J’appelle donc les autorités et les intellectuels à tout mettre en œuvre pour stabiliser le pays.

Il suffit de faire un tour au grand marché de Bamako ou dans les autres zones (où la mauvaise gouvernance n’a pas encore amené de l’insécurité), pour se rendre compte que les gens ne connaissent pas les histoires de conflits ethniques ou de langues. Les crises débutent et se passent dans les bureaux. Certains critiques disent que tout le monde ne comprend pas une telle langue ou une autre. Ce qu’ils oublient, c’est qu’il n’existe aucune langue que tout le monde comprend. Ce n’est pas tout le monde qui parle le français par exemple. Et au Mali il faut l’admettre que seulement 1/3 de la population maîtrise cette langue. Donc j’implore les intellectuels maliens et les autorités à avoir pitié de cette nation qui n’est instable qu’à cause d’eux.

Propos recueillis par S. I. K.

(Envoyé spécial à Kita)

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