Tous les acteurs (sociétés civiles, politiques, activistes et chercheurs) sont unanimes : il faut lutter contre le chômage, la corruption et maintenir la paix et la stabilité pour résorber l’immigration clandestine en Afrique.
Moussa Mallé était un jeune Malien de 19 ans. Aîné d’une famille de treize enfants, Moussa est devenu chef de famille dès son adolescence. Il vivait au village avec toute sa famille dans le cercle de Kadiolo, région de Sikasso. Depuis le décès de son père alors qu’il n’avait que 15 ans, Moussa, sa mère et sa coépouse hypertendue ; ses treize frères sont abandonnés à leur sort.
Vite, l’ado devait cultiver le champ pendant l’hivernage et rejoindre Bamako pendant la saison sèche pour se faire un peu d’argent. Après deux ans de dur labeur, il décide de tenter sa chance en Europe via l’Algérie, la Libye puis la Méditerranée. Son calvaire commence en Algérie où il vivote pendant trois mois avant de traverser la Libye pour camper sur la plage de la Méditerranée.
Sans soutien au pays et délaissé par ses compagnons de route, Moussa tombe malade. Nous l’avons rencontré affaiblit, errant dans les rues de Niamey à la recherche d’un moyen pour retourner au bercail.
« Je rêve de gouter à nouveau la sauce arachide de ma mère, de revoir mes petits frères, de jouer au football avec mes amis au village, de, de, de… », me raconte-t-il au cours d’une causerie dans une gare de Niamey. Plus tard, on apprend qu’il a succombé à sa maladie, mais son corps n’a jamais été rapatrié au pays, peut-être, ses parents ne l’apprendront pas de sitôt.
Comme Moussa, beaucoup de jeunes Maliens et africains errent sur le continent, mais aussi en Europe et partout à travers le monde à la recherche d’une vie meilleure. Peu d’entre eux réussissent. Certains vivent dans la précarité et plus de la moitié meurent. Certains partent à la recherche de l’eldorado, d’autres y vont pour l’exil.
Selon les données du ministère des Maliens de l’extérieur et de l’Intégration africaine, en Libye, environ 5000 Maliens sont bloqués. Ils sont dans le désespoir. Plus de la moitié ont déjà fait la prison, le plus souvent injustement.
D’autres y ont vécu l’esclavage. « J’ai travaillé pendant six mois et mon patron ne m’a jamais payé. Il me donnait de l’eau, de la nourriture et un coin pour dormir. C’est tout », témoigne Harouna Maïga, un jeune retourné volontaire rapatrié par le MMEIA avec le soutien de l’Organisation internationale pour la migration (OIM).
Comme lui, près de 8000 autres Maliens ont été expatriés à ce jour de ce pays depuis la chute de Kadhafi.
Ailleurs en France, en Italie, en Espagne ou encore en Afrique centrale vivent des immigrés clandestins. Malgré la grande couverture médiatique sur leur calvaire, le taux de départ ne faiblit pas. Des sommets sont organisés sur le contient et ailleurs en Europe pour lutter contre le phénomène, mais sans succès.
Le Festival Ciné droit Libre relance le débat
Pour résorber l’immigration clandestine, les organisateurs du Festival Ciné droit libre ont organisé le 25 janvier 2018 à Bamako une conférence débat sur la migration. Cette rencontre qui avait pour thème : « Migration : partir ou rester ? » s’inscrivait dans le cadre de la 3e édition du Festival.
Elle a réuni autour de la même table le rappeur et activiste Didier Awadi, l’activiste Aminata Dramane Traoré et Tahirou Sidibé, représentant du ministre des Maliens de l’extérieur et de l’Intégration africaine. Il y avait aussi des représentants de la société civile, des chercheurs et des organisations internationales engagées dans le combat contre le phénomène. Ils ont proposé des solutions palliatives aux problèmes liés aux migrations.
Créer de la richesse, lutter contre la corruption et réformer l’école
Selon Didier Awadi, la première solution pour lutter contre l’immigration est de booster le développement dans les pays africains. Les jeunes doivent avoir des opportunités d’emploi dans les pays. « Sans emploi et désespérés, nous partirons tous en Europe ou en Amérique pour mieux vivre », dit-il.
De plus, il dénonce la situation critique dans les pays de la sous-région (crises politiques, guerres et famines) qui, selon lui, est la principale cause de départ des bras valides. L’écrivaine et activiste, Aminata Dramane Traoré abonde dans le même sens et accuse les dirigeants de maintenir les pays dans la précarité.
« Les ressources sont disponibles pour accroitre la richesse dans nos pays, lutter contre la pauvreté, le chômage, le terrorisme, etc. Sans cela, les jeunes iront toujours en Europe », renchérit-elle.
Amadou Salif Guindo, un enseignant chercheur, ajoute que la migration clandestine est un phénomène actuel et mondial. Mais, précise-t-il, évoquer le sujet aujourd’hui ferait croire qu’il s’agit tout simplement d’un phénomène ne concernant que la « ruée » de Subsahariens vers l’Eldorado supposé européen/occidental.
« Il est la résultante de plusieurs facteurs connexes dont la corruption, le népotisme, le chômage, le poids culturel, le pillage des ressources africaines par des multinationales occidentales avec la complicité des dirigeants africains. A ces facteurs, il faudra ajouter l’analphabétisme et l’illettrisme », analyse M. Guindo.
Il propose de mettre l’accent sur l’éducation et la bonne gouvernance au double niveau étatique et supra-étatique.
Comment l’Afrique pourra-t-elle juguler la migration clandestine, notamment celle à destination de l’Occident ?
« La migration n’est clandestine que par rapport au pays d’origine du migrant, le poids économique de son pays et la place de celui-ci dans la diplomatie. Assainir la gestion des biens publics permettra d’accélérer le développement socioéconomique des pays de départ. L’on réussira ainsi à lutter efficacement contre le chômage et créer des emplois et retenir les jeunes candidats au départ », répond-t-il.
En plus, il propose d’encourager les investissements étrangers et des migrants de retour en allégeant (exceptionnellement) les charges fiscales, la préservation de la nature, de l’environnement dont la dégradation contribue au changement climatique ; autre cause de la migration clandestine, sinon au même titre que les conflits armés qui sont eux aussi la conséquence des décisions politiques et économiques qui ne profitent pas aux peuples.
Comme lui, Seydou Magassa, sociologue, parle de l’éducation des jeunes. Mais il propose une grande réforme pour l’adapter aux réalités socio-économique et culturelle et ce, dans une vision de moyen et long terme. « Nous ne faisons que produire des diplômés de toutes sortes sans penser aux débouchés.
Tant que les jeunes bras valides n’auront pas d’espoir et d’espérance quant à leur avenir sur place, ils tenteront l’aventure. Ils préfèrent mourir en essayant de « réussir » plutôt que de rester sur place sans perspectives », indique M. Magassa.
Le terme « immigration clandestine » en question
Le père Armanino Mauro, prêtre italien, engagé dans la prise en charge des migrants en détresse transitant par le Niger, a une autre vision du phénomène. Selon lui, l’immigration clandestine est une création politique qui n’a jamais existé dans le Sahel traditionnel. « Le changement des rapports de force, désormais des rapports coloniaux, a créé ce à quoi nous assistons. On a décidé ailleurs que les frontières de l’Europe devraient s’externaliser et se transformer en murs, barbelés et camps de détention », analyse-t-il.
A l’en croire, les deux mots : immigration et clandestine, ont été conjugués ensemble sans un sens critique qui « devrait pourtant nous rendre plus lucides et déterminés à prendre la réalité comme une construction sociale et donc susceptible d’être transformée ».
Il s’agira donc, selon M. Mauro, de ne pas accepter ce binôme : immigration et clandestine. Il s’agit de deux parcours différents. Immigration comme choix, style de vie, garanti par la Déclaration universelle des droits humains.
D’autre part, le mot ‘clandestine’ est un jugement qui ne fait qu’appliquer la vision occidentalisée des relations entre peuples et frontières. « Les pays africains feraient beaucoup mieux de contester cette ‘narration dominante’ et revendiquer plutôt une liberté de mobilité. Les marchandises et les armes voyagent et personne ne les appelle clandestines… on devrait commencer par cela », conclut-il.
Ce que fait le gouvernement malien pour résorber le phénomène
Héritier de grands empires médiévaux, de culture multiséculaire et d’échanges, le Mali, de par sa situation géographique, l’histoire de son peuplement, la diversité de ses relations socioculturelles, politico-économiques et de coopération, reste un espace de mobilité, de brassage et d’intégration de populations d’origines diverses. Cette situation a fait du Mali, un pays de forte tradition migratoire : une vieille terre d’émigration, un espace de transit et un pays de destination.
Au regard des enjeux et défis contextuels, les autorités ont initié une Politique nationale migratoire afin d’apporter des solutions durables aux problèmes que rencontrent les migrants. « La question du suivi et du retour des Maliens déplacés, la gestion des réfugiés au Mali constituent des défis importants qui nécessitent une plus grande coordination entre les structures d’où le Ponam », note Tahirou Sidibé, représentant du ministre des Maliens de l’extérieur et de l’Intégration africaine au Festival Ciné droit libre.
Selon lui, la diaspora malienne, forte d’environ 4 millions dont 3,5 millions en Afrique, est organisée en un Haut conseil des Maliens de l’extérieur (HCME), organe dirigeant qui se structure en conseils de base des Maliens de l’extérieur (CME) dans chaque pays d’accueil. « Beaucoup d’actions ont été posées dans le cadre du Ponam allant de l’appui et l’accompagnement des migrants retournés volontairement aux pays et même ceux qui ont vécu des détresses dans leur pays d’accueil », révèle le chef de cabinet du MMEIA, Moussa Alou Koné.
Aussi, il y a fréquemment des débats d’échanges et de partage avec les différents acteurs de la société civile, les jeunes et les femmes. Mais malgré ces espaces, le taux ne faiblit pas, car, explique le Père Mauro, « on ne pourra jamais mettre fin à la mobilité (clandestine ou autorisée). Il faut donc ouvrir les frontières et poser les jalons d’un véritable développement dans tous les pays du monde ».
Selon lui, tant que les décideurs ne tiendront pas compte de cet aspect dans les politiques migratoires, des jeunes comme Moussa Mallé périront sur la route à la recherche de l’eldorado.