Ce 16 mai 2023, le monde célèbre la Journée internationale du vivre-ensemble en paix dans un esprit de paix et d’harmonie. Qu’est-ce que le vivre-ensemble ? Comment le vivre-ensemble est perçu au Mali ? Comment le vivre-ensemble se caractérise dans les traditions maliennes ? Notre enquête.
Pour préserver les générations futures du fléau de la guerre et parvenir à une coopération internationale pour résoudre les problèmes internationaux d’ordre économique, social, culturel ou humanitaire et promouvoir et encourager le respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales pour tous sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté le 15 janvier 2018 la résolution A/RES/72/130 proclamant le 16 mai Journée internationale du vivre-ensemble en paix.
Qu’est-ce que le vivre-ensemble ? Pour le commun des mortels, le vivre-ensemble est l’ensemble des valeurs minimum vital requis pour vivre en paix avec ses voisins malgré leurs origines et culture différences. Pour Dr. Bamoussa Coulibaly, sociologue, dans une société, le vivre-ensemble est une attitude ou comportement qui consiste à accepter l’autre malgré les différences et à bâtir une relation harmonieuse avec lui. C’est aussi le partage harmonieux des règles de vie commune.
« Le vivre-ensemble en paix, c’est accepter les différences, être à l’écoute, faire preuve d’estime, de respect et de reconnaissance envers autrui et vivre dans un esprit de paix et d’harmonie », ajoute notre interlocuteur.
Les philosophes définissent aussi le vivre-ensemble comme un processus dynamique qui consiste à accepter l’autre malgré ses défauts pour une inclusion harmonieuse. « Le vivre-ensemble, c’est un processus dynamique que tous les acteurs doivent mettre en œuvre pour une inclusion sociale parfaite où tous les individus quelques soit leur appartenance religieuse, races et éthiques peuvent cohabiter », précise Ibrahim Bagayoko, philosophe.
En cette Journée mondiale du vivre-ensemble pour la paix, les Nations unies invitent les dirigeants du monde à continuer d’agir en faveur de la réconciliation afin de contribuer à la paix et au développement durable, en impliquant davantage les communautés, les chefs religieux et d’autres parties prenantes, en prenant des mesures de réconciliation et de solidarité et en incitant les êtres humains au pardon et à la compassion.
Comment le vivre ensemble est perçu au Mali ?
Le vivre-ensemble est l’un des traits les plus significatifs par lesquels on reconnaît la culture malienne. Les grands royaumes du passé l’ont jalousement gardé et entretenu et en ont fait le socle de notre stabilité. Beaucoup de pratiques culturelles comme la sanakunya ou la jatiguiya ont permis aux populations de vivre ensemble en paix, en cohésion et en harmonie malgré les différentes ethniques, religieuses et culturelles.
D’après Bamoussa Coulibaly, le vivre-ensemble rejette les préjugés et s’impose comme une condition absolue de la stabilité sociale. Pour le cas du Mali, le sanakunya (cousinage à plaisanterie) a été le ciment de la cohésion sociale qui a permis de pacifier les relations sociales mais aussi le jatiguiya (l’hospitalité) qui est une main tendue à l’étranger malgré les différences ethniques ou religieuses.
Le sociologue explique les grandes théories des difficultés qui naissent de la cohabitation au plan universel. « En général, quatre étapes s’imposent à toutes les sociétés à l’origine : la rivalité (les différentes cultures cherchent à s’imposer), le conflit (chacune cherche la position dominante), l’adaptation (on finit par s’écouter) et l’assimilation (finalement chacun réalise qu’il faut aller vers les valeurs communes comme la laïcité, le respect de l’autre ou le mariage) ».
Au Mali, le vivre-ensemble est fortement menacé mettant en cause la cohabitation entre Malien du Nord, du Sud ou du Centre qui date de plusieurs siècles à la fois séculaire et conviviale. Dans un contexte de crise sociale en filigrane avec la question de la laïcité qui déchire une partie des Maliens comment ressouder le vivre-ensemble ?
« La culture doit être placée au centre du combat pour le raffermissement du vivre-ensemble. Un Peul et un Bwa ou un Dogon et Bozo ont un devoir sacré, celui d’être tolérant et solidaire à l’endroit de l’autre face aux turpitudes souvent liées à la nature humaine. Le maintien de la laïcité favorise le même climat de tolérance et d’acceptation mutuelle », répond Dr. Coulibaly.
Une manifestation éloquente dans les traditions maliennes
Dans les traditions maliennes, le vivre-ensemble se caractérise sur le consensus social. C’est ce consensus qui gère la vie sociale avec le cousinage à plaisanterie. Ce cousinage constitue l’huile du moteur social et la pérennisation de bien de valeur sociale.
Mamadou Fanta Simaga, auteur de plusieurs ouvrages et non moins traditionaliste, nous explique que ce soit dans le milieu bambara, songhaï, peul etc., le vivre ensemble se caractérise par le maaya qui est l’un des ciments de l’ensemble des valeurs morales, spirituelles et intellectuelles qui font d’un individu un être social et sociable qui connaît ses droits et ses devoirs qui se résument par le savoir-être, savoir-faire et faire savoir.
« Le maaya est l’un des outils du vivre-ensemble en paix pas seulement dans les différentes traditions maliennes. Il occupe une stratégie importante dans l’outil de gestion de l’unité dans la diversité. Car autant nous sommes différents du fait d’être nés en des endroits différents, d’avoir appris des langues différentes, des cultures différentes, autant nous sommes le même du fait d’être chacun un être humain appartenant à une société avec des valeurs partagées », note Dr. Simaga.
Mamadou Fanta Simaga indique que vu l’importance du vivre-ensemble dans la paix et dans la diversité, dans la tradition bambara, les familles bambaras étaient les structures de base de l’éducation et que c’est la discipline qui fait la force principale de toute une communauté ou de société. A en croire Dr. Simaga, pour harmoniser le vivre-ensemble les grandes décisions font l’objet des discussions de bas en haut.
« Les décisions mineures se prenaient au niveau des grandes familles, les moyennes au niveau du chef de village ou clan, celles de grande importance au niveau régional et ceux de grande importance fédérale au niveau de l’empereur », explique-t-il. Il regrette qu’aujourd’hui ce vivre-ensemble qu’ont connu toutes les sphères du Mali depuis les temps immémoriaux s’ébranle du fait de l’intolérance et du chacun pour soi. « De nos jours, toutes les valeurs sociétales sont déjà ébranlées. L’homme, malgré son avancement technologique est devenu plus jamais un loup pour son frère », ajoute-t-il.
Pour sortir de la crise que le Mali traverse, Dr. Mamadou Fanta Simaga recommande aux Maliens de revenir à nos valeurs ancestrales que sont le maaya, (humanisme), le sanakunya (relations de plaisanteries entre les différentes ethnies) et le jatiguiya (hospitalité)
Dossier réalisé par
Ousmane Mahamane