Ces derniers mois, notre pays, le Mali, vit l’une de ses pires crises depuis le sursaut national de mars 1991. S’agit-il d’une crise d’adolescence ou d’une crise de maturité ? Cette question mérite d’être posée. En effet, le pays achève cette année ses trente ans d’apprentissage démocratique.  Eh ! bien oui, cela fait trente ans que nous essayons sans succès de porter le boubou de la démocratie que nous nous sommes nous-mêmes cousu ; trente ans que les ficèles de ce boubou écorchent la peau de notre corps là où l’habit s’est callé ; trente ans que l’on pose des questions sans réponses permettant d’ajuster ce boubou.

Trente ans dans la vie d’un homme, c’est l’âge de la maturité. Si cette réalité était extrapolable aux faits sociopolitiques, on dirait que le multipartisme malien est aujourd’hui dans sa phase de maturité. Dans cet état de maturité supposée dans l’apprentissage de la démocratie multipartite, notre pays se trouve confronté à une crise sans précédent. Encore une crise. A l’analyse, les symptômes de cette crise s’apparentent à ceux d’une   maturité tardive. Oui nous en sommes là. Les maux sont nombreux pour exprimer la crise. Ils ont pour nom : mauvaise gouvernance, corruption, népotisme, insécurité grandissante, impunité, appui inadéquat à l’armée dans la guerre contre le terrorisme qui menace l’existence même de notre pays.

Oui ce sont les vrais maux dont souffre notre pays. Des maux qui sont à l’antipode de nos aspirations de mars 1991. Ils donnent de la matière pour des discours populaires, souvent populistes, mais leurs vraies causes sont encore mal élucidées et exprimées de manière précise. En la matière, évitons les amalgames en étant suffisamment pédagogues pour distinguer entre causes et effets. La gouvernance mal faite conduit à la corruption, aux détournements de fonds publics, à l’impunité, au laxisme, à la gabegie, à l’insécurité, à l’arrogance ; à la mauvaise qualité de l’éducation et des soins de santé. Résumons tous ces maux manifestes de notre réalité sociale d’aujourd’hui en effets de la Mauvaise Gouvernance, la vraie source de notre mal commun.

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Oui c’est de Mère, pardon, Grand-Mère Mauvaise Gouvernance dont nous souffrons. Appelons-la grande mère, vu le nombre d’années qu’elle existe et nous mine. Effet, depuis trente ans de parcours dans la quête de démocratie, nous la chantons comme la source de notre malheur. Cette mauvaise gouvernance est aussi notre petite fille commune parce que nous l’avons enfantée depuis 1991, à partir de nos textes, nos pratiques et nos comportements. Oui, au commencement nous avons confondu forme et fond d’une même chose. Pire nous avons mal conçu la forme de notre démocratie et dans la pratique, nous avons écrasé et mis de côté le minimum convenu qui pouvait nous faire avancer. Il est temps que nous nous ressaisissions. Prenons le taureau par les cornes. De sérieuses réformes politiques s’imposent comme la rigueur dans l’application de l’existant.

Dans la gestion des crises antérieures liées à la même mauvaise gouvernance, nous avons agi sur les effets mais les causes sont restées intactes. Il nous faut arracher le mal à la racine. Durant la transition qui s’annonce, osons des réformes en profondeur sans pression externe et interne liée au temps. Retenons la leçon de notre passé récent : « le temps qu’on ne donne pas au temps en matière de réformes politiques se vengera ». Le temps non accordé à des réformes nécessaires durant la transition de 2012- 2013 se venge de nous aujourd’hui, en nous rappelant à travers la présente crise que la racine de notre mal était toujours là.

Oui cette racine reste bien enfouie dans nos textes, nos pratiques et nos comportements parce que la transition de 2012-2013 s’était bien clôturée dans la forme sans avoir réglé les questions de fond qui l’avaient générée. Ne ratons donc pas cette deuxième opportunité offerte par la présente transition. Donnons-nous le temps qu’il faut pour enfin nous coudre le boubou qui nous ira bien parce que passant sur toutes les parties de notre corps social sans l’écorcher. Prenons garde du clientélisme politique, de la recherche de positionnements immédiats, des règlements de comptes, des pressions internationales qui, mis ensemble, réduisent nos transitions à de simples revues de postes, à des discours creux d’apaisement des tensions sociales, et à l’organisation prématurée d’élections sans entame de l’objet ayant justifié le renversement des dirigeants du pays.

Tare congénitale

ATT a été renversé pour sa mauvaise gouvernance des questions de défense et de sécurité. La même cause figure en grande place dans la grogne sociale qui a emporté aujourd’hui IBK venu après une transition politique de quelques mois que j’avais jugée trop courte pour régler des questions de fond. Oui la Mauvaise Gouvernance est encore présente. Elle a même pris plus carapace et de graisse avec IBK. De Dioncounda à IBK, le Mali aura accusé un recul considérable en matière de gouvernance. Non seulement ces deux dirigeants n’ont pas entrepris grand-chose pour une meilleure gouvernance du pays, ils ont en plus totalement ignoré le formidable travail de réforme entrepris par ATT à travers la commission Daba Diawara (Commission de réflexion sur la consolidation de la démocratie).

Cette œuvre était bien avancée sur la base d’une approche participative et ouverte, mais, les dirigeants qui ont succédé à ATT n’ont pas suivi. Quel gâchis de ressources investies dans ce merveilleux projet qui annonçait des transformations qualitatives de la gouvernance politique dans notre pays ? Rappelons juste un des résultats de cette commission : l’Agence générale aux élections, une sorte de Céni unique et pérenne, faite de personnel technique qualifié, recruté uniquement sur la base de leurs compétences et expériences en administration électorale.

Qui dit mieux ? Il n’y aura jamais une bonne gouvernance des élections au Mali, tant que nous aurons des Céni non permanentes, budgétivores, faites de politiciens soucieux seulement de se refaire les poches et de redorer leur image en roulant dans des 4X4 flambants neufs juste le temps des élections. Il n’y aura jamais d’élections de qualité au Mali, tant que l’administration des élections, pour les mêmes raisons de gain d’argent, sera assurée par une multitude de centres de décision. En la matière, la multitude des acteurs est un terreau pour les magouilles électorales, la corruption et les détournements de fonds publics.

A l’opposée, il faudrait mettre en place un organe unique compétent mêlant qualité, efficacité et efficience. La Céni du Ghana que j’ai eu l’occasion de visiter avec une dizaine de hauts cadres de partis politiques maliens en est la parfaite illustration.

Des réformes majeures sont aussi indispensables pour réduire considérablement le coût des institutions publiques. Leurs budgets font toujours saliver les gourmands de la République. S’il est vrai de dire que la démocratie n’a pas de prix, il n’est pas moins vrai que le coût de nos institutions démocratiques dépasse nos moyens. En juin 2006, dans son ouvrage « Mali : une démocratie à refonder », mon grand frère Ali Cissé attirait notre attention sur le coût des institutions démocratiques au Mali et nous invitait à revoir le format de notre démocratie. Son analyse avait bien montré comment les budgets de fonctionnement des institutions de la République augmentaient en proportions démesurées au détriment du développement des secteurs sociaux de base : éducation et santé.

Ne pas personnaliser la victoire collective

Dans ce contexte de transition en perspective, une attention particulière devra être faite au train de vie de l’Etat. Plus les ressources sont abondantes dans ces institutions, sans cadrage suffisant pour leur bonne gestion, plus la convoitise d’être assis sur ces mannes et de se sucrer rapidement est grande. On veut devenir député parce qu’en 5 ans, en plus des affaires et du trafic d’influence, on peut se faire des centaines de millions de nos francs. Les courtisans des postes ministériels sont dans le même état d’esprit de même que ceux de l’administration rapprochée du Président de la République.

Bref, les champs à explorer au Mali pour une meilleure gouvernance sont nombreux. Des reformes sont nécessaires, l’application rigoureuse des textes existants et la modernisation des pratiques fiscales et douanières s’imposent. La justice devra se faire correctement et les auteurs sanctionnés quels que soient leurs liens de protection sociale et politique. En ces temps de sanctions économiques injustes de la Cédéao, les traces des ressources financières détournées devraient être suivies pour assurer le retour de l’argent mal acquis dans les caisses de l’Etat : mesure tactique en ces temps de vaches maigres pour notre pays.

En ces temps durs, la transition en cours gagnera en légitimité interne et en crédibilité externe si elle parvenait à combiner de manière équilibrée des mesures tactiques assurant la survie de l’Etat et des réformes politiques majeures et stratégiques. Cet équilibrage réussi dégraissera Grand- Mère Mauvaise Gouvernance dont le décès annoncé après la transition ne sera pas à regretter par le peuple malien. Je terminerai mon propos par quelques conseils et suggestions aux dirigeants de la transition en cours :

Sur la forme,

– Evitez de personnaliser la victoire collective. L’égo est satanique en pareilles circonstances. Le vouloir se distinguer individuellement, de paraître et de s’attribuer la victoire, finit par faire imploser l’équipe. En dépit des multiples épreuves, le M5 a su se garder de cette recherche d’image personnelle, ce qui l’a soudé jusqu’au résultat final. Il y a certes eu incontestablement une autorité morale de ce mouvement, mais un leader technique n’a jamais pu prendre le dessus sur les autres durant le combat. Il y avait une équipe technique tout court dont la solidarité opérationnelle a été efficace. Un exemple à suivre par le Comité National pour le Salut du Peuple et les instances de la transition. En 2012, Amadou Aya Sanogo, s’était trop vite mis devant comme l’avait fait ATT en 1991. L’affirmation de l’égo se vit mal de l’intérieur et braque l’extérieur sur l’individu tout en le rendant vulnérable.

– Evitez de vous laisser distraire et gardez-vous de distraire le peuple. Le jeu des intérêts externes et internes est si fort qu’il peut amener à vous faire dévier la bonne voie et perdre du temps dans ce qui n’est pas essentiel. Notre discernement collectif a pu nous faire nous soustraire des mesures distractives de la Cédéao et nous conduire jusqu’au bout de notre combat. Avec ce même discernement, traitons les mesures injustement punitives de cette institution. Combien d’économistes talentueux prédisaient la chute du pouvoir de Patrice Talon actuellement au Bénin avec la fermeture des frontières avec le Nigéria sur décision unilatérale du président de ce pays ? Récemment classé par les institutions financières comme pays à revenu intermédiaire au même titre que la Côte d’Ivoire, et comme bon élève dans la gestion de sa dette publique, le Bénin semble tenir bon. Notre pays devra aussi tenir bon malgré toutes les sanctions annoncées. Un pays qui ne peut donner de réponse adaptée à des conjonctures qui l’affectent survivra difficilement.  En évitant de vous laisser distraire de l’extérieur, ne vous laissez pas non plus distraire de l’intérieur. La seule chose qui vaille, c’est la bonne gouvernance dans la forme et le fond. Le reste c’est de distraction.

– Ne laissez pas déformer le discours sur le sens du combat collectif. Les médias internationaux ont la mémoire courte, malheureusement ils sont faiseurs d’opinion à large échelle. La tendance actuelle est de transformer l’aboutissement de la lutte du peuple malien en coup d’Etat militaire. Ce raccourci est injuste et malintentionné. Il urge de redresser ce discours à chaque occasion et d’assurer une communication externe correcte durant toute la transition ;

– Soyez et demeurez cohérents dans vos comportements avec le sens de la lutte du peuple. Le but de la transition étant de refonder l’Etat avec comme toile de fond des mécanismes pour éradiquer la mauvaise gouvernance, il convient de se garder de pratiques de mauvaise gouvernance, qu’elles soient collectives ou individuelles ;

– Pratiquez la redevabilité dans les actes à poser. La victoire du peuple a été grandement célébrée le 21 août là où la contestation a commencé, à savoir, la fameuse place de l’indépendance. Allons-nous laisser nostalgique de nos « shows » pour le changement, ce lieu sacré de la gouvernance ? Non et non. Les rassemblements populaires devront être ponctués avec les étapes d’évolution de la transition pour rendre compte au peuple là où tout a commencé, des avancées tactiques et stratégiques pour réduire la mauvaise gouvernance au Mali. Cette transition devra être collectivement célébrée de manière continue dans le partage de ses fruits, occasion de se ressourcer, de s’ajuster à temps pour éviter des ratées. 

– Parlez moins mais posez plus d’actions à effets positifs et durables pour la consolidation de la démocratie et le dégraissage de Grand-Mère Mauvaise Gouvernance. Quand on construit, on parle peu en laissant l’action le faire à sa place. A l’œuvre on voit l’artisan.

Peu de vrais commis

Sur le fond, les défis sont de taille tant Grand-Mère Mauvaise Gouvernance est à tous les niveaux, la demande sociale importante et les questions sécuritaires et de défense prennent de l’ampleur. Sur ces grands chantiers, les attentes sont grandes.

– Soyez réalistes dans votre mission (objectifs et actions) en vous disant que la vie de la nation ne se limite pas au temps de la transition. Dans chacun de ces vastes champs, des priorités existent. Il vous faut les identifier dans une approche participative et les prendre en compte dans votre plan d’action. En voulant tout faire, on s’étouffe sans rien achever. Rappelez-vous que la place de l’indépendance vous attend pour les séances populaires de redevabilité ;

– Recherchez l’équilibre entre les actions à effets immédiats et les actions à effets durables sur la gouvernance. Il s’agit là de réparer les dégâts et de prévenir les manquements ;

– Intensifiez les actions de sécurité des populations et de défense nationale. Des partenariats nouveaux sont à explorer pour parer aux éventuelles restrictions d’appuis extérieurs ;

– Prenez des engagements pour la relance de l’école et le traitement de la demande du personnel éducatif et honorez-les ;

– Réduisez le plus vite possible le train de vie de l’Etat pour vous donner les moyens de votre action et donner des réponses rapides à des revendications d’ordre financier ;

– Dans vos actes et vos attitudes, veuillez lever les équivoques sur le respect des valeurs sacrées de notre constitution et qui font la crème de notre cohésion sociale. Jusque-là, les discours pour le changement ont été focalisés sur Grand-Mère Mauvaise Gouvernance. La refondation de notre Etat gagnerait aussi à ne pas occulter le nécessaire besoin de consolidation des acquis en matière de libertés religieuses et de laïcité de l’Etat. Malgré les interpellations sur ces valeurs, les discours des leaders pour le changement n’ont pas apporté des assurances. Vous êtes aussi attendus sur ces questions, dans vos actes et vos comportements ;

– Ne vous trompez pas dans le choix des hommes pour conduire le changement. Les mangeurs sont nombreux mais les ouvriers sont très peu. Il est heureux de voir émerger une vision réductionniste du nombre des dirigeants de la transition. Il faut en outre faire de la qualité, de la compétence et du désintéressement, les principaux critères de choix des membres de l’équipe.

C’est par ces quelques suggestions que je termine ma modeste contribution à la conception de la transition qui s’ouvre dans notre pays en réponse à la demande sociale pour une meilleure gouvernance.

Que Dieu, le Tout Puissant qui entend les souffrances de notre peuple, guide les dirigeants de la transition dans leur noble mission de redressement de la gouvernance dans notre pays.

Vive le Mali !

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