Amateurisme, clientélisme, corruption, conflits de normes et de valeurs, déliquescence de la classe politique, déficit institutionnel et électoral, exclusion, impunité, narcoterrorisme, etc., sont les maux qui gangrènent nos sociétés. Ces maux ne sont pas étrangers aux situations de crises dans lesquelles le Mali baigne depuis 1990. Refuser de les prendre en compte dans l’analyse sociopolitique, c’est fermer les yeux sur la complexité de nos sociétés et sur l’impossibilité de cheminer vers un nouvel état d’esprit démocratique.

Au Mali, à la sortie de chaque crise, on entonne ce refrain : « Rien ne sera plus comme avant ». Il a été chanté en 1991 et en 2012. Aujourd’hui, en 2020, on le ressert. Mais, hélas ! Rien n’y fait. Il ne se réalise toujours pas. Le Mali est-il possédé par ces maux ? Quelles sont les difficultés de fond qui expliquent cette situation de crise répétitive ?

La première difficulté est que le Mali est confronté à un problème de renouvellement générationnel et structurel de sa classe politique. Ce sont les mêmes personnes qui sont au pouvoir depuis une trentaine d’années. Par exemple, le Président Ibrahim Boubacar Keita, IBK, avant de créer en 2001 son parti, le Rassemblement Pour le Mali (RPM), était membre de l’Alliance pour la démocratie au Mali-Parti Africain pour la Solidarité et la Justice (Adema-PASJ). L’Adema-PASJ a permis à Alpha Oumar Konaré de devenir le premier Président du Mali démocratique. Le challengeur d’IBK aux présidentielles de 2013 et de 2018, Soumaïla Cissé, est aussi issu des rangs de l’Adema-PASJ avant de créer son propre parti en 2003, l’Union pour la République et la Démocratie, URD. En termes de maillage territorial, l’URD et le RPM tiennent leur force politique de l’Adema-PASJ, créée en 1991. La lutte pour la magistrature suprême se fait essentiellement entre ces deux partis. A l’exception de l’Adema-PASJ, les autres partis politiques occupent la queue du peloton à cause de leur faible représentativité (peu de conseillers municipaux et de parlementaires) sur l’ensemble du territoire. Impossible de faire du neuf avec du vieux.

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La deuxième difficulté tient au fait que la Constitution a trop vécu (1992) et mériterait d’être révisée. Par exemple, l’article 121 de la Constitution stipule que « … Le peuple a le droit à la désobéissance civile pour la préservation de la forme républicaine de l’Etat… ». Important par ailleurs, cet article n’est pas sans poser question sur la notion de désobéissance civile :

Comment le refus d’obéir à la loi, à un commandement ou à des ordres, en tant que droit démocratique, peut être utilisé sans violence ?

De quelle façon le mettre en œuvre de façon pacifique ?

La désobéissance civile, proche de l’insurrection au sens où on s’insurge, on se soulève contre une autorité ou un pouvoir établi, nécessite que des experts (constitutionnalistes par exemple) se mettent à l’œuvre pour trouver l’équilibre entre cet acquis démocratique (désobéissance civile) et les risques qui lui sont liés. Cet équilibre consisterait à réformer la Constitution pour dessiner les contours d’une 4eme République. Il en va de la souveraineté du peuple.

La troisième et dernière difficulté, c’est l’impunité, cette absence de punition, le fait d’être exempté d’une peine méritée. Par exemple, si on tourne les pages de notre jeune démocratie pour ne remonter qu’à 2012, on s’en rend vite compte des dégâts de l’impunité dans la société. L’inexistence de sanction exemplaire contre des personnes responsables de détournements des fonds publics (Rapports du Vérificateur général) illustre bien cette impunité. Les massacres militaires (Aguelhock, Boulkessi, Diabali ou Mondoro) et civiles (Koulongo, Ogossagou ou Sobane Da) sont un autre exemple de l’impunité. Il va sans dire que sur de telles impunités phosphorent la corruption et la mauvaise gouvernance.

Ces trois difficultés, parmi tant d’autres, montrent que le pays n’a jamais eu une maitrise de son futur. Le Mali est en quête de sens de façon permanente. On n’a jamais cessé de reproduire les mêmes schémas de pensée. Hélas, à ce rythme, ni la rupture ni le renouveau démocratique ne sont pour demain matin. Certes, les mêmes difficultés, à des niveaux différents, existent dans les pays voisins : Burkina-Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Conakry, Niger ou Sénégal. Le constat est là : partout dans nos pays, il devient difficile de faire confiance aux hommes politiques qui nous dépouillent dès que l’occasion se présente.

Pour conclure, le simple refrain d’espoir, « rien ne sera plus comme avant » ne suffit pas pour changer un pays. Il faut des actes concrets pour rétablir la confiance entre le peuple et ses dirigeants. En dépit de ce vent d’espoir entamé par ce refrain, la situation du Mali s’est fâcheusement détériorée au point qu’une partie de la population malienne, notamment le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP) demande la démission du président IBK.

« Rien ne sera plus comme avant » reste davantage un vœu pieux qu’un projet de transformation de la société. Ce vœu ne se réalise pas parce que les politiciens maliens d’hier comme d’aujourd’hui ne prennent pas en compte les besoins réels des populations. Les Maliens restent livrés à eux-mêmes. La distribution des marchés publics aux amis entrepreneurs, la surfacturation, etc., caractérisent nos institutions, et nuisent à tout désir de transparence. Le mérite et la compétence des agents de l’Etat ne sont plus la règle pour élever ce pays. C’est pourquoi la 3eme République ressemble à ce vieil arbre sec de la forêt qui peut tenir débout quelques années, mais plus pour longtemps, et sans que l’on sache quand il va tomber. La 3eme République doit faire place à la 4eme République où la règle du jeu n’est ni l’impunité, ni le pouvoir pour le pouvoir, mais la durabilité des sociétés maliennes. Est-il possible de bâtir une nouvelle gouvernance politique au plus près des attentes des populations en réinventant notre démocratie sur le modèle de nos systèmes traditionnels de médiation et de pacification sociale ?

Mohamed AMARA

(Sociologue)

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