Le Mali a enregistré ses premiers cas de contamination au Coronavirus en mi-mars 2019. A moins d’un mois de ce deuxième anniversaire, plusieurs questions demeurent sans réponses, aussi bien sur le plan sanitaire qu’économique. A Bamako, le sujet fait débat. 

Depuis quelques semaines, le nombre de contamination au Coronavirus connait un ralentissement sensible au Mali. Entre une deuxième vague meurtrière (8 145 cas et 336 décès à la date du 5 février) en phase d’être maitrisée et l’espoir d’une première campagne de vaccination, ils sont nombreux à se pencher sur les leçons à tirer de cette pandémie au Mali, les opportunités qui s’offrent à lui aujourd’hui pour relancer son économie, étouffée par une crise sociopolitique, sécuritaire et sanitaire. De 5 % annoncé pour 2020, le taux de croissance a chuté à -2 % selon le Trésor public malien.

Le Trésor public malien annonce aussi une relance de 4,4 % pour 2021. Les secteurs d’activités économiques touchés par la pandémie, par contre, ne sont pas prêts à suivre cette reprise attendue. Beaucoup s’inquiètent du sort de l’année en cours qui, disent-ils, « reste encore floue sans savoir ce qui adviendra ». L’après Covid-19, un dossier sur les enjeux pour le Mali ?

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Ibrahim Coulibaly est administrateur général du Festival international urban music and mode de Sélingué, l’une des grandes rencontres culturelles annuelles au Mali. Avec la commission d’organisation, ils se préparaient à offrir à ses 30 000 festivaliers une nouvelle édition sans s’attendre qu’à une semaine de l’évènement, une nouvelle viendra balayer les mois de préparations. 

Le rendez-vous est frappé par les mesures restrictives, prises par le gouvernement lors de la session extraordinaire du Conseil supérieur de la défense nationale, du 17 mars 2020, pour stopper la propagation de la pandémie au Mali. Initialement prévu du 19 au 21 mars 2020, l’évènement est reporté deux fois de suite. Il sera finalement annulé. 

Une annulation qui va engendrer une énorme perte financière au festival, mais, aussi à Sélingué, la ville devant abriter l’activité. 

Les revenus générés par les hôteliers, la restauration, le commerce et le transport durant les quatre jours du festival sont estimés, selon son administrateur général, à des centaines de millions de F CFA. Ce montant n’inclut même pas les frais engagés dans l’organisation. En tout, la commission d’organisation évoque une perte financière de 40 à 50 millions de F CFA. 

« On avait commencé à payer les cachets de certains artistes et de l’avance pour certains prestataires. Après l’annulation, on n’a pas pu récupérer l’argent. Nous sortons vraiment perdants. Comme c’était pour des raisons de santé, nous ne pouvons qu’accepter », regrette-t-il.

11 000 acteurs culturels touchés 

Comme le festival de Sélingué, ce sont plus de 11 000 artistes et acteurs culturels qui ont perdu leurs revenus entre mars et septembre 2020 à cause de la pandémie. 110 000 autres dont les activités sont liées au secteur culturel ont également vu leurs revenus baisser considérablement selon la Fédération des artistes du Mali (Fédama) et l’Union des associations d’artistes, de producteurs et d’éditeurs. (UAAPREM). 

 Les deux organisations faitières évaluent les pertes financières causées par la Covid-19 au secteur culturel, entre mars et septembre 2020, à plus de 20 milliards de francs de revenus directs et indirects.

Au Mali, le secteur de la culture est loin d’être un cas isolé. Le Coronavirus serre la gorge aussi au secteur du tourisme avec des pertes d’emploi énormes. 

Si la contribution du secteur à l’économie nationale en 2019 atteignait 38 milliards en recettes et 37,5 milliards en investissements, selon les données de l’annuaire statistique 2019 de la DNTH/OMT, aujourd’hui la quasi-totalité des 1 856 entreprises touristiques enregistrées est en difficulté. La situation impacte aussi les 14 089 emplois directs pour l’ensemble du secteur.

Dans un dossier du journal Mali Tribune, en date du 26 janvier 2021, sur le même sujet, les promoteurs hôteliers avaient alerté les autorités sur leur situation qu’ils qualifient de « très précaire ; pour pouvoir tenir, beaucoup ont été obligés de prendre des mesures pour leurs charges et ont procédé à des licenciements partiels et massifs ». 

Pour Jean Bosco Dembélé, directeur de l’hôtel Onomo, sa structure hôtelière a perdu au moins 65 % de ses revenus annuels en 2020 à cause de la Covid-19. Dans ce même dossier, il exprimait son inquiétude pour l’année en cours « qui reste encore floue sans savoir ce qui adviendra ».

Au total, la Direction nationale du Tourisme et de l’Hôtellerie, dans son évaluation de mi-avril à mi-mai 2020, sur l’impact de la pandémie de Covid-19 sur le secteur touristique du Mali a identifié 13 231 arrêts de travail pour l’ensemble du secteur du tourisme. 94 % du personnel sont en arrêt travail contre 6 % des emplois maintenus. Le document évalue à 2, 2 milliards de F CFA la masse salariale des 3 derniers mois (notamment de mars à mai) devant être perçue par les employés en arrêt de travail pour l’ensemble du secteur. 

Sans autres sources de revenus, la plupart des employés licenciés se sont reconvertis en chauffeurs de transport en commun ou ouvriers selon Hamidou Timbiné, un ancien membre du syndicat de l’hôtellerie et du tourisme du Mali, aujourd’hui aussi licencié après sept années de travail au compte du même hôtel.

Lourde perte 

En 2020, le Mali s’attendait à un taux de croissance de 5 % après 5,1 % enregistré en 2019. Une relance vite stoppée par la crise sanitaire liée au Coronavirus dans le monde. Conséquence, il se retrouve avec un taux de croissance négatif, de -2 % à la fin de l’année, source FMI. Selon la même source, le taux d’endettement est passé de 39 % du PIB à 45 % du PIB.

« La contraction de la demande mondiale, la perturbation consécutive des approvisionnements en marchandises qui rentrent dans la composition des produits finis et des biens intermédiaires, et l’instauration des mesures barrières et le couvre-feu qui ont suivi », sont, entre autres, des facteurs qui ont accentué le ralentissement économique, voire l’arrêt sans précédent de nombreuses activités économiques au Mali, estime l’étude rapide de l’impact de la crise du Covid-19 au Mali du système des Nations unies menée par le Pnud et l’Unicef du mai 2020. 

Selon le rapport, cette contraction économique représente une lourde perte de revenus pour l’Etat. Le document illustre la situation par des résultats d’une enquête préliminaire commanditée par le Conseil national du patronat du Mali (CNPM). Il souligne que « sur environ 200 entreprises/groupements interrogés dans les services assurance-banque, hôtellerie-tourisme-billetterie-restauration, industrie de transformation, énergie/distribution, le CNPM a reporté une perte d’emplois de 50 % » durant la période de l’analyse, en mai.

Dans l’attente 

Afin de maintenir en vie ces secteurs touchés par la crise, les autorités maliennes ont réfléchi à plusieurs stratégies de relance. La dernière en date a porté sur des séminaires thématiques pour une vision concertée des secteurs de la culture, de l’artisanat et du tourisme.

Tenue du 1er au 30 décembre 2020 à Bamako, la rencontre a réuni professionnels, partenaires techniques et financiers, les institutions de la culture, de l’artisanat et du tourisme autour des enjeux et défis à relever dans un contexte marqué par une crise multidimensionnelle. Elle s’est soldée par plusieurs recommandations qui visent à accompagner de façon concrète ces trois secteurs touchés, mais aussi les personnels en chômage qui se retrouvent aujourd’hui sans sources de revenus.

Des recommandations et mesures annoncées qui viennent s’ajouter au plan d’appui social et économique Covid-19 de l’ancien président IBK aux ménages et entreprises affectées par la crise sanitaire. Pour l’instant, les promoteurs culturels et entreprises touristiques annoncent ne sentir la couleur d’aucun soutien de l’Etat.

En attendant une quelconque amélioration de la situation, le Festival international urban music and mode de Sélingué, pour sa part, envisage d’avancer l’édition 2021 pour essayer de compenser le vide laissé par l’année 2020. Pour y arriver, il dit trouver un terrain d’entente avec la plupart des prestataires de l’édition passée, refaire avec les mêmes prestataires.

Kadiatou Mouyi Doumbia

Mali Tribune du Vendredi 12 mars 2021

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