Suite à la résiliation de la convention de concession de l’activité ferroviaire liant les Etats malien et sénégalais à la société Transrail, notifiée le 7 décembre 2015, les deux pays ont mis en place un plan d’urgence pour la phase transitoire avec engagement de prise en charge du personnel pendant six mois « prorogeables ». Pendant qu’au Sénégal tout semble baigner, au Mali les cheminots observent une grève de la faim depuis 33 jours. Les contestataires occupent  la voie ferrée dans différentes gares nationales et réclament à l’Etat malien neuf mois d’arriérés de salaire

« Nous irons jusqu’au sacrifice final s’il le fallait ». L’interlocuteur affaibli par 31 jours de grève de la faim a le visage blême. Sur lequel l’âge a creusé quelques sillons. Mis en pull chaud pour affronter le vent et le froid de la nuit, Bolidiandian Kéita s’apprête à passer sa 31e nuit dehors presqu’en face de l’Hôtel de ville de Bamako. Ici, lui et ses camarades cheminots observent une grève de la faim depuis plus d’un mois.

Sous perfusion depuis 24 h ce vendredi 19 janvier 2019, Bolidiandian comme ses camarades cheminots côtoient le danger. Quatre de ses compagnons grévistes de la faim au moins ont été évacués depuis le lancement du mouvement. « J’étais déjà fatigué avant la grève et le suis davantage avec celle-ci [la grève] ».

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Quoique très en verve  et s’exprimant dans un français recherché dénué de toute familiarité, la voix froide de ce sexagénaire conducteur de train trahit un périlleux affaiblissement qui n’aurait échappé aux nombreux médecins bénévoles.

La froide voix semble ôter la vie aux mots qui sortent de cette bouche. Mais Bolidiandian puise encore ce soir dans sa réserve et tient les rênes d’une discussion avec un visiteur sur l’importance de l’activité ferroviaire dans « un pays enclavé comme le nôtre », selon ses mots.

Il achève son raisonnement par un parallèle entre l’endurance du réseau ferré (qui peut atteindre 100 ans) contre la fragilité du réseau routier, la sécurité du premier contre l’insécurité du second…

Soudain une forte brise vient balayer leurs literies de fortune, dons de bénévoles composés pour tout équipement de nattes, couvertures et moustiquaires. Autour du feu de chauffage dangereusement proche des couchages de fortune, Kéita derrière ses lunettes rectangulaires demeure depuis le matin dans un mutisme total.

Esquissant seulement un sourire pour toute réponse quand on lui adresse la parole, il replonge  aussitôt  dans  une profonde méditation. L’objet de ses soupirs ? C’est plus que le dénuement : c’est la perte de son enfant faute de moyen. Mais Bolidiandian tente de le réconforter : « Kéita personne ne sait ce qui se serait passé, si tu avais de quoi payer son opération ? Seul Dieu donne la vie, Seul Lui la reprend ».

Mais Bolidiandian le sait : un père de famille ne se pardonnera jamais d’avoir regardé son enfant mourir sans rien faire. La solidarité, l’entre-aide entre grévistes et l’espoir permettent à ces hommes et femmes de persévérer dans la réclamation de leur droit.

Ce matin du 19 janvier, la copie d’une lettre du Premier ministre  invitant son ministre de l’Economie au paiement « d’au moins deux mois d’arriérés de salaire aux intéressés » suscite une réaction quasi glaciale. Mahamane Tienta secrétaire général du Syndicat des travailleurs des rails (Sytrail) ne joue pas à « au casseur d’ambiance » face à cette lettre de la Primature enregistrée sous les chiffres 12 10.

« Nous aussi, nous sommes des maliens »  

Il sait que plus de 98 % des 480 cheminots perçoivent leur salaire à la banque et que la majorité de ceux-ci croule sous la déchéance du terme qui, selon Cheick Sadibou Maïga juriste de formation et diplômé en banque, est « une sanction qui atteint le débiteur en cas de non-paiement des annuités de remboursements de certains prêts ».

Dans cette hypothèse, précise-t-il, « le contrat prévoit que la totalité des sommes restantes dues au titre du principal et des intérêts devient immédiatement exigibles ».

Autrement dit, s’agissant des cheminots débiteurs ils pourraient ne rien toucher même avec le paiement intégral des arriérés tant que la banque n’aura pas soustrait intégralement ses dus et intérêts, ajoute Cheick Sadibou  pour qui l’idéal est de ne jamais mettre un employé  dans cette posture ».

Le Ségal du Sytrail se réjouit tout de même de la compassion des Maliens à leur égard. Il rend hommage aux médecins bénévoles, aux Maliens pour leur empathie.

Quand Tienta parle de la grève de la faim observée par les cheminots maliens sous sa direction, il se veut prudent et accorde une importance particulière à une chose qui est pourtant claire : « Nous ne sommes pas des politiciens, nous réclamons seulement nos droits ». « Nous aussi, nous sommes des Maliens et avons le droit d’être entendus », explique-t-il les mains chargées de procès-verbaux de déchéance du terme envoyés par diverses banques de la place. « L’Etat doit officiellement nous contacter, nous n’avons rien d’autre que le Mali ».

Ben Bassirou Diakité

Le Focus du lundi 21 Janvier 2019

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